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PAC 53 – La santé publique aux prises avec les intérêts de la sous-traitance privée Le scandale sanitaire des implants mammaires PIP (Poly Implant Prothèses)

Par Armand Suicmez

Passage au crible n°53

Pixabay

Le mercredi 4 janvier 2012, la juge d’instruction de la ville de Marseille a mené une perquisition dans les locaux de la société varoise PIP (Poly Implant Prothèses), faisant suite au scandale des implants mammaires fabriqués par cette entreprise. Composés d’un gel de silicone non conforme, les produits PIP seraient responsables de plusieurs cas de cancers, même si le lien entre ceux-ci et les pathologies, n’est pas démontré.
Cette affaire dépasse le cadre français car la firme a exporté dans toute l’Europe, aux États-Unis et en Amérique du Sud. Elle met ainsi en lumière l’absence de règles, nationales et internationales qui concerne les dispositifs médicaux.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Fondée par Jean-Claude Mas en 1991, la PME française PIP exporte dans 65 pays et a écoulé sur le plan mondial 400 000 prothèses. Son activité florissante s’est dégradée avec la concurrence asiatique des années 2000 et la baisse du dollar. Son PDG a décidé alors de maximiser ses profits en ayant recours à un gel de silicone industriel, sept fois moins cher que sa version médicale. Grâce à ce subterfuge, PIP a pu devenir leader dans ce secteur, aussi bien pour la production que pour la distribution.
Bien que dangereux pour la santé, les produits PIP ont obtenu une certification de l’entreprise privée TÜV Rheinland. Ce laboratoire a en effet validé le sérum PIP comme technologie physiologique dépourvue de risque ; Jean-Claude Mas ayant délibérément fourni un échantillon d’implant conforme au moment des tests scientifiques. Lors de l’instruction, il a déclaré aux enquêteurs : « je savais que ce gel n’était pas homologué, mais je l’ai fait sciemment car le gel PIP était moins cher ». Il aurait par ailleurs dissimulé la véritable composition de ses articles à ses clients, ses fournisseurs mais aussi à ses propres employés, en faisant état de fausses factures.

500 000 personnes sont concernées à travers le monde par cette situation. En 2005-2006, les premières plaintes de patientes ont entraîné une condamnation de PIP aux États-Unis avant que des cas de ruptures de prothèses ne se multiplient l’année suivante au Royaume-Uni, en Espagne et en Amérique du Sud. Depuis un an et demi, une interdiction de commercialisation a été mise en œuvre et a frappé la société d’une amende globale de 1,4 milliard de dollars. Enfin, le sort très médiatisé d’une femme, morte d’un lymphome, a provoqué une forme de panique collective. En 2011, le parquet de Marseille a reçu près de 2400 plaintes et ouvert une information judiciaire pour « blessures et homicides involontaires ». Aujourd’hui, environ 30 000 explantations sont prévues afin de réduire le danger. Le principal accusé de l’affaire, Jean-Claude Mas risque, quant à lui, quatre ans d’emprisonnement.

Cadrage théorique

1. Une labellisation externalisée. Devenus incontournables, les labels représentent désormais un gage de sécurité sanitaire. Ce mécanisme se généralise afin de mieux protéger le consommateur vulnérable face à des informations nombreuses et parfois peu fiables. Or, cette authentification publique des normes nationales, communautaires et internationales est confiée à des entreprises privées.
2. Une expertise médicale au service d’intérêts privés. Souvent déifiée par les commentateurs, l’expertise fait foi lorsqu’il s’agit d’évaluer la qualité d’un produit. Cependant, il convient de rappeler que les processus de validation scientifique demeurent bien souvent tributaires de logiques politiques et économiques. De ce fait, sa neutralité est sujette à caution et doit être remise en question.

Analyse

De nos jours, la valeur de l’expertise semble de plus en plus importante : elle est quasiment sacralisée, principalement quand elle concerne du matériel médical, naturellement en lien direct avec les questions de santé publique. Dans ce cadre, les implants PIP revêtaient – avant même leur interdiction – une double caractéristique : ils restaient les moins chers sur le marché mondial, tout en conservant apparemment les qualités médicales évaluées et confirmées par des cabinets indépendants. Soulignons le fait que l’AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux Publiques) approvisionnait alors en dispositifs PIP trois centres anticancéreux publics à Paris.

A priori, le scandale PIP pourrait apparaître comme un cas isolé d’erreur due aux agissements frauduleux d’une seule personne : Jean-Claude Mas. Mais en réalité, un manque de réglementations internationales a été souligné aussi bien par les gouvernements européens que par des acteurs non-étatiques ou des réseaux d’individus, groupes de médecins ou associations de victimes comme l’association des porteuses de prothèses PIP. Dans la mesure où les implants en silicone sont considérés comme de simples dispositifs médicaux – c’est-à-dire à faible degré de risques et non essentiels, ils sont réglementés par la norme ISO 14607 : 2007 « qui spécifie les exigences relatives aux implants mammaires destinés à des fins cliniques ». Or, cette règle peu contraignante permet à l’industriel de labéliser l’évaluation des performances de sa propre production.

En Europe, la matériovigilance sanitaire astreint le fabricant à une procédure de validation par un des 70 organismes certificateurs parmi lesquels TÜV Rheinland, laboratoire indépendant qui joue le rôle d’expert symbolisant l’éthique médicale. Cependant, il n’assure pas en réalité d’examens approfondis. Il est plutôt spécialisé dans l’installation d’entreprises de biens médicaux, avec pour objectif de voir ses clients réaliser le maximum de profits financiers.

Les gouvernements se sont engagés en faveur d’un retrait préventif du produit au nom du principe de précaution. Dès lors, on comprend bien que leur responsabilité économique est impliquée par ce scandale. Si la justice américaine exige de la PME française un dédommagement, en France, la Sécurité Sociale devrait en revanche participer financièrement. En retour, l’assurance maladie a porté plainte pour « tromperie aggravée et escroquerie » afin d’être remboursée des probables 60 millions d’euros d’indemnisation accordés aux victimes. Ce bien transnationalisé (prothèse PIP) souligne, s’il en était besoin, l’hétérogénéité de juridictions gouvernementales qui se montrent démunies devant une affaire sanitaire dépassant le strict cadre des souverainetés étatiques.

Xavier Bertrand, Ministre français de la Santé, exige à présent la mise en place d’un processus de suivi complet des dispositifs médicaux. Toutefois cette veille normative, sous vigilance publique, reste assurée par des groupes privés. La santé devient ainsi « indissolublement liée à un système d’économie de marché, fondée sur les forces spontanées des agents économiques et politiques qui y interviennent ». Autrement dit, l’apparat d’un objectivisme scientifique non faussé cache une recherche exacerbée du profit. L’abus de position dominante dans le domaine de la santé, déjà dénoncée dans l’affaire du médiator, continue de constituer toujours un risque; surtout lorsque l’on sait que plus de 60% des membres de l’AFSSAPS (Agence Française de Sécurité Sanitaire des produits de Santé) détiennent des intérêts au sein des firmes pharmaceutiques.

Références

Behar-Touchais Martine, « Le Conseil de la concurrence et la santé », Les Tribunes de la santé, (15), fev.2007, pp. 63-77.
Demme Géraldine, « Le secteur de la santé face au droit de la concurrence », Regards sur l’économie allemande, (95), mars 2012, pp.27-32.
Paule Clément, « La Marchandisation mondiale de la santé publique, La stratégie entrepreneuriale des firmes pharmaceutiques », Passage au crible, Chaos International, (11), janv. 2010, pp. 1-2.
Guelfi Marie-Claude, « Les dangers des lits médicalisés », Gérontologie et société, (116) jan.2006, pp. 77-83.
Kerouedan Dominique, Santé internationale. Paris, Presses de Sciences Po, 2011.
20min.fr, Santé ; « Prothèses mammaires PIP : Jean-Claude Mas admet la tromperie sans regrets »: http://www.20minutes.fr/sante/853770-protheses-mammaires-pip-jean-claude-mas-admet-tromperie-aucun-regret, dernière consultation : 8 janvier 2011.