PAC 165 – L’entrisme de la Chine dans les sommets internationaux La diplomatie chinoise au forum de l’APEC, 8-10 novembre 2017

Source : Flick

Par Moustafa Benberrah
Passage au crible n° 165

Organisé à Dà Nang au Vietnam du 8 au 10 novembre 2017, le sommet de l’APEC (Asia-Pacific Economique Cooperation) a réuni plus de deux mille directeurs exécutifs d’entreprises ainsi que les principaux dirigeants des économies de la région. Selon la présentation officielle de ce forum, les discussions portaient sur « l’avenir et la mondialisation ».
Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique
Lors d’un discours prononcé le 10 novembre, le président des États Unis, Donald Trump a confirmé son slogan de campagne en déclarant : « J’accorderai toujours la priorité à l’Amérique, et de la même manière, j’espère que vous tous dans cette pièce vous ferez de même dans vos pays respectifs ». Cette intervention était attendue après sa décision de quitter l’accord TPP (Trans-Pacific Partnership) à la fin de l’année 2016, soit trois jours après son investiture. S’exprimant peu après, son homologue chinois, Xi Jinping a présenté la mondialisation comme « une tendance historique irréversible », tout en revendiquant la défense du libre-échange.
Depuis sa création en 1989, l’APEC – qui siège à Singapour – réunit chaque année les hauts responsables des 21 pays membres ainsi que les représentants d’organisations internationales, des experts et autres spécialistes de l’économie et du développement. Parmi les États parties, citons les États-Unis (1989), le Japon (1989), la Chine (1991) et la Russie (1998). Cette organisation représente plus du tiers de la population mondiale (soit 2,6 milliards de personnes), environ 60% du PIB de la planète et 47% du commerce international. Il s’agit donc de la zone économique la plus dynamique au monde qui a contribué à près de 70% de la croissance mondiale entre 1994 et 2004.
Ce forum intergouvernemental vise dès lors à faciliter la croissance, la collaboration et l’investissement dans la région Asie Pacifique. En outre, cette instance tente de réduire les entraves aux échanges commerciaux augmentant les exportations, tout en s’efforçant de formuler une politique commune sur le plan économique et technique. Certaines de ces dispositions se sont concrétisées dans le domaine sanitaire comme par exemple en 2006 avec le soutien de l’APEC à des mesures de prévention face à une éventuelle pandémie de la grippe aviaire (H5N1). En 1994, lors d’une réunion tenue en Indonésie, plusieurs dirigeants politiques ont adopté « les objectifs de Bogor ».

Ces derniers posaient le principe d’une zone de libre-échange et d’investissements pour les économies industrialisées dès 2010 et pour celles en voie de développement, d’ici 2020. Pourtant, l’APEC n’est à l’origine d’aucun traité qui aurait pu engager de manière déterminante ses participants. En effet, contrairement à l’Union Européenne ou à d’autres organisations multilatérales, ses initiatives reposent sur une base non contraignante car ses décisions sont prises par consensus. Quant à ses engagements, ils restent fondés sur un simple volontariat. Mais cette logique reste cependant appréciée par la RPC (République populaire de Chine) qui voit dans ce forum un outil diplomatique, voire le pilier idéal pour développer sa politique de voisinage face à la suprématie américaine.
Entre 2002 et 2012, son entrisme soft s’est manifesté par la multiplication de visites officielles en Russie et en Asie centrale (le président Xi Jinping s’étant rendu en septembre 2013 au Turkménistan, au Kazakhstan, en Ouzbékistan et au Kirghizstan). Mentionnons également les déplacements du Premier ministre Li Keqiang en Inde et au Pakistan en mai 2013 et dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Est (Vietnam, Thaïlande et Brunei en octobre 2013).

Cadrage théorique
1. La promotion ambivalente d’un multilatéralisme. Dans un contexte mondial marqué par l’instabilité, la Chine tente d’apparaître comme un partenaire attractif et fiable en proposant un modèle gagnant-gagnant fondé sur des coopérations interrégionales. Mais centrée en apparence sur les principes de « solidarité » et de « développement pacifique », cette vision obéit principalement à des considérations sécuritaires, politiques et économiques.
2. La quête ambiguë d’un statut de puissance. S’affirmant dans la région Asie-Pacifique, ce « renouveau de la nation » chinoise pourrait menacer à terme les rapports de Pékin avec l’hegemon américain.

Analyse
Pékin tente aujourd’hui d’appliquer une politique proactive qui s’appuie sur des rencontres bilatérales et multilatérales, les conférences de travail et les projets de coopération présentés comme une ressource positive pour tous. Cette implication croissante hors de ses frontières a été construite par le président Hu Jintao dans le cadre de sa politique du « going out », puis développée par Xi Jinping. Ce dernier insiste sur deux axes : la « route maritime de la soie » (maritime silkroad) et la « zone économique de la route de la soie » (silk road economic belt). Il s’agit en l’occurrence de relier la République populaire à l’Europe en renforçant les infrastructures et la collaboration économique avec les voisins d’Asie centrale et d’Asie du sud-est.
Ces dispositions sont guidées par un projet global. En effet, l’amélioration des réseaux de transport et de communication transrégionaux (chemins de fer, ports, routes) permettrait de faciliter les échanges et l’acheminement des produits chinois vers les marchés voisins, tout en désenclavant les provinces pauvres de l’ouest et du centre du pays, telles que le Xinjiang et le Tibet. À titre d’exemple, citons la province méridionale du Yunnan qui est progressivement devenue un pont économique vers l’Asie du sud-est, et en particulier vers la sous-région du Grand Mékong (provinces du Yunnan et du Guangxi, le Vietnam, le Cambodge, le Laos et le Myanmar).
Afin de limiter sa dépendance envers le Moyen-Orient et l’Afrique, la RPC cherche en outre à diversifier ses sources d’approvisionnement en énergie. C’est pourquoi, en tant que premier importateur mondial de pétrole, elle soutient la coopération énergétique avec des nations qui offrent davantage de garanties de stabilité politique. Les visites de Xi Jinping aux quatre pays d’Asie centrale en septembre 2013 correspondent clairement à cette ligne politique.
Parallèlement à cette diplomatie économique de « bon voisinage », la Chine affirme désormais avec plus de fermeté ses positions et revendications dans la région.Elle se mobilise en premier lieu sur les enjeux maritimes. En novembre 2013, Pékin a ainsi décrété une zone d’identification de défense aérienne ou ADIZ (Air Defense Identification Zone) au-dessus de la mer de Chine orientale. Plus récemment, elle a installé en mai 2014 une plate-forme pétrolière dans des eaux pourtant revendiquées par le Vietnam. A contrario, Pékin a soutenu que ces dernières faisaient partie intégrante de sa zone économique exclusive. Naturellement, cette action controversée provoque des tensions au sein de l’APEC, notamment avec Washington.
Il est clair que depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir, Pékin s’efforce d’établir avec les États-Unis un nouveau rapport de force dans la région Asie-Pacifique. Les dirigeants chinois insistent à cet égard sur la notion de « nouveau type de relations entre grandes puissances », ce qui sous-entend la volonté d’être traité à présent d’égal à égal par Washington. Le gouvernement chinois met ainsi en avant la construction d’une « communauté de destin commun » en Asie, ce qui exclurait de facto les Américains. Enfin, il appelle à repenser – voire à remettre en cause – la légitimité de certaines normes et institutions établies par les puissances occidentales. De même, il conteste l’engagement de celles-ci dans la région et exprime le souhait de voir limiter leur rôle dans cette partie du monde. Pour atteindre ses objectifs, la RPC renforce donc son attractivité économique auprès de ses voisins ; l’objectif étant de convertir les interdépendances actuelles en prochains soutiens politiques sur la scène mondiale. C’est dire qu’il faut bel et bien analyser cette diplomatie régionale des sommets comme une stratégie de puissance à l’échelle mondiale.

Références
Benberrah Moustafa, « La conquête chinoise de l’Afrique par l’APD. Le secteur du BTP sous domination chinoise », Chaos international, disponible sur : http://www.chaos-international.org/pac-150-conquete-chinoise-de-lafrique-lapd/
Eckman Alice, « Asie-Pacifique : la priorité de la politique étrangère chinoise », Politique étrangère, aut 2014/3, consulté le 07/10/2017 sur : https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-3-page-11.htm
Lachkar Michel, « Les tensions en mer de Chine poussent les pays de l’Asie-Pacifique au réarmement », Franceinfo, 08/05/2016, disponible sur : http://geopolis.francetvinfo.fr/les-tensions-en-mer-de-chine-poussent-les-pays-de-l-asie-pacifique-au-rearmement-105405
Le monde, « Au sommet de l’APEC, Donald Trump se montre offensif sur le dossier du commerce international », Le Monde, 10 nov 2017, disponible sur :
http://www.lemonde.fr/international/article/2017/11/10/pas-d-entretien-particulier-prevu-entre-donald-trump-et-vladimir-poutine-au-vietnam_5212971_3210.html

PAC 164 – L’offensive académique de la Chine Les étudiants africains, ambassadeurs de la diplomatie chinoise

Source: Pixabay

Par Moustafa Benberrah
Passage au crible n° 164

Près de 50 000 Africains font cette année leur rentrée universitaire dans l’Empire du milieu, vingt fois plus qu’il y a dix ans. Selon les chiffres du ministère chinois de l’Éducation, le nombre d’étudiants étrangers en Chine augmente de plus de 35% par an et un étudiant étranger sur dix vient du continent africain. Ce pays se place donc juste derrière la France comme destination préférée de cette catégorie et occupe même la première place concernant les spécialités techniques.
Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique
La Chine a octroyé les premières bourses aux Africains dès les années soixante dans le sillage de la conférence de Bandung. Après son ouverture en 1978, le nombre des étudiants partis poursuivre leurs études dans ce pays augmente progressivement. Cette tendance s’est ensuite accélèrée dès le début du vingt-et-unième siècle. En effet, elle a accompagné le développement considérable de la présence chinoise sur le continent depuis les années deux mille.

Dans le cadre de la politique d’internationalisation de ses entreprises (zouchuqu shengce, going out policy), Pékin renforce sa politique africaine afin d’accroître son pouvoir d’attraction et mobilise pour ce faire plusieurs secteurs (académique, culturel, médiatique, économique). Deux raisons rendent compte de cette évolution. D’une part, les besoins chinois en ressources naturelles nécessaires à la croissance intérieure imposent l’amélioration des relations avec les pays producteurs de matières premières dans un monde pacifié. De plus, les dirigeants chinois veulent contrer l’image négative de leur pays en Afrique relayée à l’étranger. Dans ce contexte, on comprend que l’éducation représente un outil privilégié.

En octobre 2007, le président chinois Hu Jintao a annoncé vouloir doubler le nombre de ressortissants africains dans les universités chinoises. Une politique fondée sur une distribution généreuse de bourses a alors été mise en place. Un financement de 400 euros par mois, l’attribution d’un logement gratuit et la présentation de cours en anglais et en chinois pendant un ou deux ans ont été proposés à cette élite.
En dix ans, le nombre de bourses accordées a ainsi été multiplié par plus de 300. En 2005, la RPC (République populaire de Chine) comptait 2 757 étudiants africains. Cette année, on en recense en revanche près de 50 000. En outre, lors du Focac (Forum de coopération sino-africaine) de 2015, Pékin s’est engagée à fournir 30 000 bourses supplémentaires d’ici à 2018 et leur nombre devrait à l’avenir atteindre plus de 80 000.
Notons toutefois que cette stratégie demeure élitiste dans la mesure où elle concerne principalement les fonctionnaires. Le programme développé par le Mofcom (le ministère chinois du Commerce) lancé depuis deux ans, est réservé en priorité aux employés des secteurs publics africains, ce qui renvoie à environ dix mille personnes.

Cadrage théorique
1. L’entretien de relais d’influence prestigieux. En considérant l’éducation comme l’un des fondements de l’agenda du Forum économique de coopération Chine-Afrique, Pékin aspire à transmettre une série de normes, idées, et valeurs aux élites africaines. Le recours à cette puissance normative vise à la promotion du modèle chinois.
2. La construction d’une attractivité culturelle. Joseph Nye considère que le soft power chinois se rapproche de celui mis en œuvre par les États-Unis. Rappelons qu’il l’a défini comme « la capacité d’un État d’obtenir ce qu’il veut par son attraction plutôt que par la coercition ». Cette vision s’inscrit dans le cadre d’une ambition, celle de la constitution d’une puissance globale, qui serait donc à la fois politique, économique, militaire et culturelle.

Analyse
Le renforcement des relations sino-africaines s’inscrit dans un contexte global de bouleversement des équilibres mondiaux induit par l’essor des BRICS. En effet, la République populaire de Chine veut construire une image institutionnelle fondée sur le développement mutuel, la non-ingérence, l’absence de conditionnalité et le transfert de technologie. Ainsi, met-elle en avant son statut de pays émergent afin de susciter un sentiment de solidarité Sud-Sud.
En 2007, le discours du président Hu Jintao illustre bien cette tendance. En effet, il utilise pour la première fois le concept de « soft power » (软实力, ruan shili) et affirme la nécessité de promouvoir la culture chinoise sur le plan international. Il insiste alors sur les notions de « développement pacifique » (和平发展, heping fazhan) et celle du « monde harmonieux » (和谐世界, hexie shijie) reposant sur l’idée que son pays ne représente pas une menace pour le monde. Dans la continuité de cette doctrine, le comité central du PCC (Parti communiste chinois) approuve en octobre 2010 le plan quinquennal 2011-2015 dont le chapitre 44 entend promouvoir l’exportation de produits culturels et les initiatives des médias chinois à l’étranger. L’objectif affiché visant à « renforcer la compétitivité à l’international et le pouvoir d’influence de la culture chinoise, et améliorer le soft power du pays ».
Parmi les outils diplomatiques mobilisés pour y parvenir, le Focac  (Forum de coopération sino-africaine) occupe une place privilégiée. Créé en octobre 2000 à l’initiative de Pékin, il est présenté comme un établissement « juste et équilibré » devant s’inscrire dans un nouvel ordre international. Réunissant aujourd’hui quarante-neuf pays africains, il met l’accent sur la promotion des activités chinoises sur le continent, notamment à travers la multiplication des contacts directs avec l’Empire du milieu.
À cet égard, la Chine a signé plus de soixante-cinq accords culturels avec ces nations et adopté 150 plans de mise en œuvre. En outre, elle a mis en place l’un des quatre plus grands programmes de formation au monde à destination de l’Afrique, qu’ils aient été développés en Chine ou bien localement. Dans le premier cas, le plan est exécuté par le ministère de l’Éducation au travers de cours donnés dans les universités chinoises avec pour objectif d’aider les participants africains à comprendre l’éducation, la politique, l’économie, l’histoire et la culture chinoises. Soit, il prend la forme d’enseignements techniques développés par le ministère du commerce en lien avec les ministères sectoriels. Dans le domaine de la coopération éducative, dix-neuf facultés chinoises ont établi des collaborations avec vingt-neuf homologues africains dans vingt-trois pays dès 2003. La RPC soutient également l’élaboration de projets de recherche scientifique sino-africains et finance la construction de laboratoires. Enfin, elle accueille des post-doctorants venus d’Afrique.
C’est dire combien les établissements d’études supérieures jouent un rôle central. Citons à titre d’exemple l’université de Tsinghua, symbole du succès de cette « diplomatie douce ». Ces institutions destinées à former les futures élites africaines aspirent à former des ambassadeurs itinérants et des interlocuteurs privilégiés. Une telle opération permettrait de contrer la vision négative qui s’attache trop souvent à la Chine et qui est relayée par certains médias occidentaux.
Cependant, cette politique culturelle apparaît encore limitée. En effet, l’anglais reste la langue la plus parlée en Afrique et les échanges d’étudiants demeurent pour l’heure moins importants qu’avec l’Europe. En outre, il existe régulièrement des accrochages entre autochtones et Chinois. Évoquons ceux de 1988 à Nanjing à la suite d’une rumeur sur le meurtre d’un étudiant chinois qui aurait été perpétré par des Africains. Mentionnons aussi plusieurs incidents qualifiés de racistes comme celui d’une exposition récente organisée par un musée à Hubei. Intitulée « voici l’Afrique », il comparait les Africains à des animaux.
Ces quelques exemples montrent que la compréhension culturelle constitue un chantier en construction et que l’offensive diplomatique de la Chine ne fait que débuter.

Références
Bénazéraf David, « Soft Power chinois en Afrique Renforcer les intérêts de la Chine au nom de l’amitié sino-africaine », IFRI, septembre 2014, disponible sur :
https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_av71_softpowerchinoisenafrique_benazeraf.pdf
Benberrah Moustafa, « Le Soft Power chinois. L’offensive des médias chinois sur l’Afrique », Chaos international, disponible sur :
http://www.chaos-international.org/pac-163-soft-power-chinois/
https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_av71_softpowerchinoisenafrique_benazeraf.pdf
Le Belzic Sébastien, « La Chine, nouvelle destination phare des étudiants africains », Lemonde.fr, 18 septembre 2017, disponible sur : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/09/18/la-chine-nouvelle-destination-phare-des-etudiants-africains_5187402_3212.html
MEIRIK Karen, 2009, « La Chine, populaire auprès des étudiants africains », Consulté le 5 octobre 2017 sur : https://wazaonline.com/fr/archive/la-chine-populaire-aupres-des-etudiants-africains
Nye Joseph, Bound to Lead: The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990.

La Deuxième Guerre mondiale au cinéma Le jeu trouble des identités

Josepha Laroche

Préface de Christophe Malavoy

Les vingt oeuvres cinématographiques présentées ici permettent de souligner combien le septième art a pris sa part dans la sensibilisation aux violences paroxystiques qui ont été commises et endurées durant la Deuxième Guerre mondiale.

Mais l’accent a surtout été mis par l’auteur sur le désarroi identitaire, l’ambivalence des conduites, la perte de repères et l’état de déréliction sociopolitique chez un grand nombre d’individus présentés à l’écran. Pour certains, le jeu trouble d’identités multiples et évanescentes a été adopté par calcul dans la cohérence et la solidarité du combat à mener. En revanche, pour d’autres, il n’a été qu’une pitoyable panacée devant la logique implacable du conflit et de sa puissance destructrice.

Josepha Laroche est spécialiste de relations internationales et professeur au Département de science politique de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle a récemment publié dans la collection « Chaos International » plusieurs ouvrages : La Grande Guerre au cinéma, un pacifisme sans illusions (2014), La Brutalisation du monde (2e éd., 2016) et Les réalistes dans la théorie des conflits internationaux (2e éd., 2016). Cette dernière recherche inaugure un ensemble qui comprendra trois autres études théoriques à venir (marxisme, transnationalisme, constructivisme).

Christophe Malavoy est comédien, réalisateur et auteur de Parmi tant d’autres (1998), un roman inspiré de l’agonie de son grand-père, en mars 1915, sur le front de Champagne. Il a également publié La Cavale du Docteur Destouches, un ouvrage consacré à Louis-Ferdinand Céline (2015). En 2017, il interprète Fausse Note, une pièce qui traite de la Deuxième Guerre mondiale et aborde les thèmes de la transmission, de la réparation et de la vengeance.

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Passage au crible de la scène mondiale 2016

Passage au crible de la scène mondiale

L’actualité internationale 2016

Sous la direction de Josepha Laroche

Cette publication réunit des textes portant sur l’actualité internationale de l’année 2016. Elle forme un ensemble homogène qui éclaire le lecteur sur les lignes de force parcourant la scène mondiale.

Plusieurs contributions mettent tout d’abord l’accent sur les échecs du multilatéralisme aussi bien dans le domaine de la santé publique mondiale que dans celui du commerce ou bien en termes de sécurité face au terrorisme islamiste. Une deuxième partie montre ensuite la faiblesse des normes adoptées pour traiter du réchauffement climatique, avec notamment la COP21 et ses suites. Les articles abordent à cet égard la position des États, mais également celle des ONG ou des collectivités infraétatiques, comme les grandes métropoles et les régions. Enfin, cet ouvrage traite dans une dernière partie d’expressions très diversifiées de domination normative qui relèvent du soft power et réussissent aujourd’hui à s’imposer dans la politique internationale.

 

Ont contribué à cet ouvrage : Moustafa Benberrah, Alexandre Bohas, Weiting Chao, Adrien Cherqui, Philippe Hugon, Josepha Laroche, Valérie Le Brenne, Clément Paule, Lea Sharkey, Simon Uzenat, Catherine Wihtol de Wenden.

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PAC 163 – Le soft power chinois L’offensive des médias chinois sur l’Afrique

Par Moustafa Benberrah
Passage au crible n° 163

Source : Wikipédia

Lors de son discours à Davos, le 17 janvier 2017, le président de la république populaire de Chine (RPC), Xi Jinping s’est prononcé en faveur du libre-échange et a mis l’accent sur la nécessité de créer un monde ouvert et connecté. Dans un cadre marqué par le Brexit et l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump, le chef de l’État a expliqué les grandes lignes de sa vision économique. L’événement a bénéficié d’une couverture exceptionnelle des médias chinois, notamment en Afrique, illustrant les efforts menés par ce pays afin de promouvoir son modèle économique et sa nouvelle stature internationale.
Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique
L’implantation des principaux médias chinois en Afrique remonte aux années cinquante. En effet, l’agence de presse Chine Nouvelle (Xinhua) a ouvert au Caire en 1958 son premier bureau sur le continent. Puis, elle a créé un total de seize bureaux entre 1958 et 1965, avant une période de repli pendant la révolution culturelle. Xinhua a ensuite connu une nouvelle expansion à partir de 1978 avec l’ouverture de douze nouveaux locaux. Sa stratégie a tout d’abord été liée à l’exercice de la diplomatie chinoise dans la région et répondait aux besoins en matière de veille et de renseignement. Elle a été progressivement fondée sur une politique commerciale de mise à disposition de dépêches à partir des années quatre-vingt-dix. La relocalisation du bureau régional de Xinhua de Paris à Nairobi en 2006 marqua un tournant symbolique dans la politique africaine des autorités chinoises. À la fin de 2011, Xinhua disposait de trente bureaux, soit vingt-quatre en Afrique subsaharienne et six en Afrique du Nord.
Notons aussi que la première station radio chinoise Radio Chine International (RCI), alors Radio Pékin, a diffusé des émissions sur le continent dès 1956. En 1965, la Chine s’est même trouvée en tête s’agissant du temps de diffusion en Afrique. Après la révolution culturelle, RCI a ouvert des bureaux au Caire (1986), à Harare (1988) et à Nairobi (1987). Elle utilise uniquement les ondes courtes. À la suite de sa refondation en 1993, elle a inauguré en 1998 son site en ligne pour le service anglais, puis l’année suivante, celui du service français. Cette nouvelle offre multimédia vise à fédérer ses audiences africaines par ensemble linguistique. La création en 2011 de la CIBN (China International Broadcasting Network) qui concerne l’audiovisuel numérique vient renforcer cette stratégie. Enfin, à la suite de une multiplication de partenariats avec les radios nationales et locales, elle a commencé à proposer ses programmes sur les ondes FM depuis 2002 en collaboration avec la radio publique Kenyane KBG, puis en 2006, depuis sa propre station à Nairobi, concurrençant ainsi des grands groupes occidentaux (BBC, RFI, RDP Africa). Cet essor important de la radiodiffusion est dû à sa pénétration des différentes couches de sociétés africaines. La radio est en effet le média qui bénéficie du taux d’audience le plus élevé durant les années quatre-vingt-dix à deux mille car il représente souvent le seul moyen d’information pour des zones isolées.

Mais notons que le développement le plus spectaculaire et le plus rapide demeure celui de la télévision. Avec l’adoption d’une politique de développement international dans les années quatre-vingt-dix, le groupe public CCTV (China Central Television) a tout d’abord diffusé des émissions depuis la RPC, puis fourni des programmes aux chaînes africaines à partir des années deux mille. La chaîne s’adressait dans un premier temps principalement en mandarin aux ressortissants d’outre-mer. Par la suite, la version anglophone CCTV-9 a été formellement inaugurée en 2000. Plusieurs filiales en français, espagnol (2007) et en arabe (2009) ont été intégrées à l’offre de diffusion africaine. Citons à titre d’exemple la reprise de certaines émissions de la CCTV-English reprises au Kenya sur la KBC, les échanges de programmes avec le Zimbabwe, ou encore entre CCTV-F et la télévision togolaise. Avec le lancement de la chaîne publique CCTV Africa en 2012, la CCTV produit et émet désormais depuis le continent. Tandis que les principaux médias étrangers réduisent localement le nombre de leurs journalistes, d’importants budgets ont été alloués par le gouvernement chinois dans le cadre de l’internationalisation de la chaîne (création de studios à Londres, Washington et Nairobi). CCTV Africa a recruté près de 70 Kenyans et de 30 Chinois et propose désormais plusieurs émissions telles qu’un hebdomadaire sur les événements de la semaine, Talk Africa, un journal quotidien d’une heure, Africa Live et des portraits de la société civile africaine, Faces of Africa.

Cadrage théorique
1. La centralité d’une perception positive. Robert Jervis remet en question la conception rationnelle des relations internationales en soulignant que la perception erronée (misperception) et les différences subjectives d’appréciation peuvent influencer le processus décisionnel. Dans ce contexte, les médias chinois cherchent à orienter les représentations africaines de la Chine et de l’engagement chinois sur le continent, non pas en présentant directement une image alternative, mais en proposant de nouvelles manières de regarder l’Afrique.
2. La performance d’une diplomatie culturelle. Le concept de Soft Power formulé par Joseph Nye permet de mieux comprendre l’action non-coercitive de l’État chinois. En effet, ce dernier ambitionne de développer aujourd’hui une image positive chez ses partenaires. Pour ce faire, il mobilise une large palette d’outils (académiques, culturels, médiatiques, économiques) qui contribue au renforcement de son pouvoir d’attraction et à la promotion de son modèle de développement.

Analyse
Le concept de Soft Power (软实力, ruan shili) est officiellement invoqué à partir de 2006 lorsque les premières mesures concrètes sont entrées en application. L’implantation africaine des principaux médias chinois (Xinhua, RCI, CCTV) a été considérablement renforcée pendant cette période. La collaboration médiatique entre la république populaire et l’Afrique a été formalisée au cours du troisième Focac (forum de coopération sino-africain) en 2006 après son introduction dans l’article 5 du Plan d’action de Pékin. Nous assistons par conséquent à la mise en place de stratégies globales d’internationalisation propres à la région. Ainsi, les médias proposent-ils une vision différente de l’approche occidentale sur les relations sino-africaines, destinée à construire une représentation positive de la Chine. Joshua Kurlantzick évoque une « charm offensive » chinoise.
Cette coopération demeure multiforme. La Chine a apporté un soutien matériel et technique aux médias africains dès les années soixante avec l’installation d’émetteurs radio ou la fourniture d’équipements de radiodiffusion. En outre, elle a fourni des équipements radio au Lesotho en 2006, rénové le siège du Liberia broadcasting system en 2008, ou encore construit des studios de télévision et installé un réseau de télévision numérique terrestre en Ouganda en 2010. Cette pratique, qui ne peut être séparée des relations économiques, est souvent conditionnée par l’obtention de contrats de télécommunications pour des opérateurs comme Huawei ou Zhong Xing Télécommunication Equipment (ZTE). Cette présence vise à améliorer la connaissance mutuelle par une approche équilibrée et le développement de contacts entre les journalistes chinois et africains, notamment par le biais de formations organisées sous l’égide du Focac. Ces dernières sont souvent liées aux secteurs de collaboration mis en place dans les pays africains tels que le BTP et l’exploitation de ressources naturelles.
De ce fait, la diplomatie culturelle de la Chine opère sous plusieurs formes. Citons à titre d’exemple la diffusion de la culture et de la langue chinoise, les échanges académiques, les stages d’étudiants et de professionnels africains qui jouent par la suite un rôle d’intermédiaire auprès des acteurs chinois.
Dans ce cadre, Pékin promeut un discours articulé autour du principe de la solidarité Sud-Sud, tout en présentant la Chine comme une référence pour les pays en développement. Le déploiement d’outils d’influence est justifié par des impératifs intérieurs (demande énergétique notamment) et par la nécessité de contrer la critique à l’étranger concernant la présence chinoise en Afrique. L’attention portée à la diffusion de sa culture vise à renforcer son attractivité et à développer une image positive de son action. Cette ambition, le directeur du bureau africain de Xinhua, l’exprime en ces termes : « nous devons présenter à notre audience la vraie Afrique, ainsi que les potentiels énormes de la coopération sino-africaine ».

Références
Bénazéraf David, « Soft power chinois en Afrique Renforcer les intérêts de la Chine au nom de l’amitié sino-africaine », IFRI, septembre 2014, disponible sur :
https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_av71_softpowerchinoisenafrique_benazeraf.pdf
Jervis Robert. Perception and Misperception in International Politics, Princeton, Princeton University Press, 1976.
Morin-Allory Ronan, « La Chine parle aux Africains. L’appareil médiatique de Pékin », Outre-Terre, 4 (30), 2011, pp. 43-71.
Nye Joseph, Bound to Lead: The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990.
Yangtze Yan, « Xinhua launches Focusing on African news coverage program », Xinhua, 19 septembre 2006, disponible sur: http://www.xinhuanet.com/english/africa/