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PAC 60 – La lente autonomisation des réseaux sociaux en Chine Le veto de la Chine au projet de la résolution du Conseil de sécurité sur la Syrie

Par Justin Chiu

Passage au crible n°60

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Le 4 février 2012, la Chine et la Russie ont opposé leur veto à un projet de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant la répression en Syrie. Déclenchée à Derra en mars 2011, la révolte syrienne a déjà coûté la vie à plus de 8000 civils. Les vidéos montrant la répression sanglante – notamment à Homs – qui ont été diffusées dans le monde entier grâce à Internet, ne sont pas passées inaperçues en Chine. De nombreux intellectuels s’interrogent par exemple sur la décision de leur gouvernement. Les arguments officiels – Raison d’État et principe de non-ingérence – ne semblent plus légitimes comme les commentaires émanant des réseaux sociaux le démontrent. Devant l’émergence d’une opinion publique en Chine, les autorités sont contraintes d’évoluer. C’est ainsi que le 14 février, le Premier ministre, Wen Jiabao, a indiqué qu’il était prêt à discuter de la situation en Syrie.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Le printemps arabe réveille les affects et les émotions refoulés de la population chinoise. Rappelons qu’en 1989, les étudiants qui demandaient plus de démocratie et de liberté ont été violemment réprimés par le régime. Engagées à la fin des années soixante-dix, la réforme économique et la politique d’ouverture de Deng Xiaoping avaient suscité un minimum d’espace public au cours des années quatre-vingt au point que cette décennie s’est avérée exceptionnellement riche en débats politiques et intellectuels. Mais après la répression de la place Tiananmen, les revendications politiques ont brutalement disparu des mouvements sociaux. Le strict contrôle de l’État, l’amélioration du niveau de vie et l’affaiblissement des soutiens extérieurs ont incité les héritiers de ce mouvement démocratique à promouvoir l’émergence d’une société civile fondée sur la protection des droits civiques.

Selon le gouvernement chinois, le nombre d’incidents collectifs serait passé de 8700 en 1993 à 74000 en 2004. Soulignons en l’occurrence que les mouvements sociaux représentent toutes les couches sociales car les Chinois ont vu leur vie bouleversée par le démantèlement du système social communiste et l’insertion de leur pays dans la mondialisation. Désormais, les protestations émanent aussi bien des ouvriers, des citadins, que des paysans, des fonctionnaires ou des chômeurs : elles sont donc très hétérogènes. Parallèlement, la conscience des droits civiques se propage dans une Chine enrichie, les juristes en général et les avocats en particulier deviennent non seulement parties prenantes de la société civile mais leurs fers de lance. Au tournant du XXe siècle, la construction d’un État de droit se tient ainsi au cœur de la propagande du Parti communiste chinois. Face à la pression internationale, la notion de droits de l’Homme est officiellement adoptée en 2004, lors du 12e congrès de l’Assemblée nationale du Parti.

Considérés comme une menace pour la sécurité, les nouveaux médias sociaux des pays étrangers sont alors censurés ou purement et simplement interdits en Chine. Pourtant, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le marché des réseaux sociaux y est à présent fleurissant et très concurrentiel. Néanmoins, quelques acteurs privés dominent ce monde virtuel de 513 millions d’internautes. En l’occurrence, Tencent (créé en 1999, équivalent de MSN Messenger), RENN (équivalent de Facebook, créé en 2005), Weibo (entre Facebook et Twitter, créé en 2009).

Cadrage théorique

1. Une conscience accrue des droits de l’homme. Les réformes économiques et institutionnelles, entamées depuis trente ans, ont permis le développement de l’économie chinoise et ont amélioré considérablement les conditions de vie d’une majeure partie de la population. Cependant, la croissance du PIB ne saurait masquer les inégalités sociales, les disparités régionales et la profonde dégradation de l’environnement au sein de l’Empire du milieu. D’autant moins qu’elles sont largement véhiculées aujourd’hui sur la toile. Bien éduqués et enrichis, les Chinois tolèrent de plus en plus mal la situation misérable des démunis et réclament le respect qui leur est dû en tant qu’êtres humains.
2. La monté en force de la société civile grâce aux réseaux sociaux. Si l’on considère l’efficacité, le faible coût d’intermédiation et le puissant moyen de communication que cristallise Internet, on comprend mieux alors qu’il soit devenu un outil d’autonomisation si précieux pour de larges franges de la population. Avec la Toile, le rapport au temps et à la distance entre la société civile et l’État se trouvent radicalement modifiés. C’est pourquoi l’acteur étatique doit trouver de nouvelles ressources de légitimité et de nouveaux moyens de gouverner face aux critiques émanant de la société civile.

Analyse

S’affirmant comme chef de file des pays émergents, la Chine n’hésite plus à exprimer un point de vue différent des pays occidentaux, comme nous l’avons constaté lors de la Conférence de Copenhague sur le changement climatique en 2009. En second lieu, au plan national, elle doit réussir cette année sa transition politique en plaçant Xi jinping à la tête de l’État-parti. En cette période sensible, le gouvernement ne peut donc soutenir un projet international qui reviendrait à renverser un régime autoritaire.

Bien que les messages de compassion se multiplient sur les réseaux sociaux, cela ne signifie pas pour autant que tous les Chinois reconnaissent les revendications démocratiques de l’opposition syrienne. En fait, la société chinoise désapprouve surtout son gouvernement parce qu’il interdit aux Syriens toute possibilité d’aide extérieure et soutient un régime répressif. Mais le débat sur la situation syrienne trouve vite ses limites dans la mesure où quelques jours après le veto, les internautes chinois sont déjà fascinés par d’autres grands événements.

Les critiques de la presse et des intellectuels ne sont pas absentes en Chine. Néanmoins, ceux qui ne savent pas suffisamment s’autocontrôler et qui franchissent la ligne rouge restent peu nombreux. En effet, ils risqueraient alors d’être accusés de crime de subversion, comme ce fut par exemple le cas du professeur Gui Quan qui a dénoncé la gestion du séisme de Sichuan en 2009.

La démocratisation d’Internet constitue un enjeu majeur pour la population et une préoccupation pour le gouvernement chinois. C’est pourquoi 30 000 fonctionnaires du service du ministère de l’Information exercent en permanence une censure. Cette activité apparaît toutefois de plus en plus inefficace au regard du nombre massif d’internautes. Pour éviter tout dérapage, les sites des réseaux sociaux sont censés contrôler leurs usagers. Ainsi, les messages publiés en tibétain sur Weibo sont-ils systématiquement surveillés. En décembre dernier, l’État chinois a exigé des microbloggers une inscription obligatoire sous leur vrai nom. Cette mesure vise notamment les 200 millions d’utilisateurs de Weibo. Mais les incessantes ripostes des mini-bloggers contre cette atteinte à leur vie privée témoignent assez d’une conscience accrue des droits de l’homme en Chine.

Références

Chen Yingfang, « Les mouvements de protestation des classes moyennes », in : Jean-Louis Rocca (Éd.), La Société chinoise vue par ses sociologues, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, pp. 187-219.
Elias Nobert, La société des individus, trad., Paris, Fayard, 1991.
Laroche Josepha, La Brutalisation du monde, du retrait des États à la décivilisation, Montréal, Liber, 2012.
Merklé Pierre, La Sociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte, 2010. Coll. Repères 398.
Nangfang Zhoumo (南方周末 ou Southern Weekly) : http://www.infzm.com/
Pedroletti Brice, Bougon François, « Le veto de Pékin sur la Syrie critique en Chine », Le Monde, 8 Fév. 2012.
Rosenau James N., Turbulence in World Politics: a Theory of Change and Continuity, Princeton, Princeton University Press, 1990.
Simmel Georg, Les Pauvres, trad., Paris, PUF, 1998.
Zheng Youngnian, « China and Democracy: Not a Contradiction in Terms », in: John Wong, Bo Zhiyue (Éds.), China’s Reform in Global Perspective, Singapore, World Scientific Publishing, 2010, pp. 13-53.