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PAC 112 – Les diplomaties controversées du développement Le Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement 15-16 avril 2014

Par Florent Bédécarrats*

Passage au crible n°112

Pixabay

Le Mexique a accueilli les 15 et 16 avril 2014 la réunion du Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement, fruit d’une initiative de l’OCDE. La conférence a réuni quelque 1 500 participants venus de 140 pays : chefs d’État et de gouvernements, ministres, parlementaires, dirigeants d’organisations internationales, représentants du monde des affaires et de la société civile, fondations et professionnels du développement. Le bilan de ces deux jours s’avère mitigé : l’échec que certains anticipaient n’a pas eu lieu et la participation d’une gamme aussi diversifiée d’acteurs constitue un motif de satisfaction pour les organisateurs. Mais la déclaration finale manque de substance et plusieurs partenaires clés ne l’ont pas ratifiée.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Jusqu’à la chute du Mur de Berlin, l’APD (aide publique au développement) témoignait des grands clivages prédominants : le big push, les substitutions aux importations, le développement rural intégré́ ou l’ajustement structurel. Mais elle obéissait surtout aux jeux d’influence des anciennes puissances coloniales et à la logique des blocs. Après la fin de la Guerre froide, le constat d’échec de ces décennies d’intervention et les errements des politiques néolibérales ont alimenté une remise en cause profonde de ce mécanisme de solidarité interétatique. En 2000, l’adoption des Objectifs du Millénaire pour le Développement a traduit un sursaut, lequel a privilégié un nombre restreint de cibles prioritaires, précises et mesurables, endossées par l’ensemble des intervenants du champ et devant être atteintes à l’horizon 2015.

Pour soutenir ce mouvement et restaurer la crédibilité de leur action, sous l’égide de l’OCDE, les tenants de l’APD ont animé une vaste négociation visant à encadrer leurs pratiques afin d’améliorer l’efficacité de l’aide. Après une première rencontre internationale à Rome (2002), deux étapes s’avèrent déterminantes : la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement en 2005, puis les engagements de Busan, adoptés en Corée (2011). L’échéance fixée pour les OMD approchant, ces parties prenantes essayent aujourd’hui de restructurer un agenda commun pour le post-2015, en avançant notamment la notion de développement durable. La réunion de Mexico visait à poser un nouveau jalon de ce processus transnational.

Cadrage théorique

Diplomatie de l’aide. Que ce soit sous ses facettes humanitaires, celles de la reconstruction, ou du développement, l’aide est fréquemment mobilisée par les États comme un instrument supplémentaire au service de leur stratégie politique. Avec le déclin de la logique bipolaire et l’affaiblissement des allégeances issues de la colonisation, l’APD a été adossée à d’autres visées, telles que l’élargissement des débouchés commerciaux, la sécurisation de l’accès aux matières premières, la recherche de soutiens pour des initiatives internationales, ou bien encore la diffusion de normes techniques, financières, commerciales, sociales et environnementales. Ce domaine voit aujourd’hui monter en puissance de nouveaux participants : les pays émergents, les fondations et entreprises privées, les ONG, les cabinets d’experts et les think tanks.
Efficacité de l’aide. La défiance manifestée à l’égard des interventions de solidarité nationale a incité les acteurs de l’aide à mettre l’accent sur les résultats de leur activité. Ce souci s’est traduit par la mise en avant de l’évaluation comme instrument de redevabilité. Des revues systématiques ont ainsi été instaurées pour jauger les projets ou programmes de développement à l’aune de critères communs comme la pertinence, l’efficacité, l’efficience, la durabilité et l’impact. D’autre part, des instances transnationales ont été instituées afin de coordonner les interventions. En outre, des principes cardinaux ont été adoptés pour encadrer la programmation des intervenants de l’aide : appropriation par les bénéficiaires, harmonisation des initiatives, alignements avec les priorités définies localement, partenariats entre organisations publiques et privées, enfin transparence.

Analyse

La gouvernance du Partenariat mondial pour une coopération efficace suscite des débats, notamment à propos de la représentation de la société civile au Comité de pilotage. Sa présidence tripartite vise pour l’instant à assurer un équilibre entre les pays développés, les pays en développement et les émergents. L’équipe actuelle, composée de représentantes britannique, nigériane et indonésienne, a toutefois été critiquée pour son manque de transparence. En conséquence, certains demandent que la composition et le mandat de cette structure soient modifiés. La prochaine phase sera animée par trois co-présidents représentant le Mexique, les Pays Bas et un pays africain encore à déterminer. Une attente importante, à cet égard, consistera à dépasser la priorité accordée au lancement d’événements, pour se concentrer sur l’animation au long cours d’un débat de fond. Imprimer une direction claire, à un ensemble aussi composite demeure cependant une gageure.

Cette réunion a également traduit l’évolution des rapports de force dans le champ de l’aide. Ainsi, les pays émergents ont-ils revendiqué une position tangente. Bien que participant activement, le Mexique et le Nigeria ont critiqué ce multilatéralisme. Quant aux Brésil et à l’Argentine, ils se sont montrés encore plus sceptiques. S’agissant de la Chine et de l’Inde, ils n’ont même pas participé aux échanges.

En revanche, les acteurs privés sont apparus beaucoup plus actifs. Dans le cadre de rencontres parallèles où elles se sont montrées très présentes, les fondations ont adopté pour la première fois une charte commune sur l’efficacité de leurs actions. Les grandes entreprises – en particulier celles du secteur des matières premières et de l’industrie – ont par ailleurs été très visibles. À l’invitation des bailleurs, les représentants de la société civile bien que très nombreux, ont peu participé ou critiqué. La rivalité reste forte entre les Nations unies et l’OCDE s’agissant de l’organisation la plus légitime à guider le processus. Ce débat semble néanmoins désuet compte tenu de la multiplication des PICS (Partnerships Initiative Coalitions).

L’objet des négociations a aussi évolué. En effet, si les discussions du groupe se concentraient initialement sur l’efficacité de l’aide, elles se sont progressivement élargies et c’est aujourd’hui la question des partenariats multi-acteurs qui s’avère au centre des préoccupations. Les participants ont partagé le constat d’une singulière absence de débat lors des plénières au cours desquelles les échanges sont demeurés très codifiés, sans prises de parole intempestives, y compris de la part des organisations de la société cible. On a par exemple constaté peu d’avancées sur les questions placées en tête de l’agenda officiel, comme le rôle du secteur privé, les acteurs multilatéraux et l’environnement. En revanche, les événements parallèles ont été plus dynamiques et ont permis d’avancer sur certains sujets, comme l’évasion fiscale ou bien la lutte contre le blanchiment, etc. La France cherche pour sa part à adopter un rôle de catalyseur sur les enjeux relatifs aux normes de responsabilité sociale et environnementale, et sur les partenariats entre opérateurs publics et privés.

La question des ressources n’a toutefois pas été traitée lors de ces discussions et le respect des engagements pris par les États donateurs de consacrer 0,7% de leur PIB n’a pas même été discuté, alors que ce thème cristallise pourtant de nombreux débats dans les forums sur le développement au Nord.

Références

Bearce David H., Tirone Daniel C., « Foreign Aid Effectiveness and the Strategic Goals of Donor Governments », The Journal of Politics, 72 (3), 2010, pp. 837-851.
Wood Bernard et al., The Evaluation of the Paris Declaration, Copenhagen: Danish Institute for International Studies, 2011.

*Ce document a été élaboré à partir des éléments partagés par le représentant de l’AFD à cette réunion, Armand Rioust de Largentaye. Les analyses et conclusions formulées ici restent cependant sous la responsabilité de leur auteur et n’engagent en rien le point de vue officiel de l’Agence Française de Développement ou de ses institutions partenaires