C’est devant plus d’une centaine de personnes que s’est tenue, mardi 27 octobre à la faculté de droit de l’Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, la première table ronde du Mécano de la scène mondiale.
Autour de l’ouvrage de Philippe Ryfman, Une Histoire de l’humanitaire, et de son auteur, Chaos International a réuni la directrice du PAM (Programme Alimentaire Mondial) en France, Marina Catena, le fondateur et directeur Général de l’ONG Solidarités, Alain Boinet, le porte-parole du CICR (Comité International de la Croix Rouge) en France, Frédéric Joli et le président d’honneur d’ACF (Action Contre la Faim), Jacques Serba.
Synthèse de la première séance du cycle Le Mécano de la scène mondiale organisée autour de l’ouvrage de Philippe Ryfman.
Le mécano de la scène mondiale
Autour de l’ouvrage de Philippe Ryfman
Une Histoire de l’humanitaire Éditions La Découverte 2009
Avec
Alain Boinet, Fondateur et Directeur Général de l’ONG Solidarités
Marina Catena, Directrice du PAM (Programme Alimentaire Mondial) en France
Frédéric Joli, Porte-parole du CICR (Comité International de la Croix Rouge) en France
Philippe Ryfman, Professeur associé à l’Université Paris I
Jacques Serba, Président d’honneur d’ACF (Action Contre la Faim)
> I. La socio-histoire de l’humanitaire
> II. La donne actuelle
> Conclusion
> References
I. La socio-histoire de l’humanitaire
1 Quelles sont les étapes préliminaires, les temps forts les plus significatifs de cette histoire de l’humanitaire ? Et pourquoi ?
Tandis que Marina Catena évoque la figure injustement méconnue de la pionnière Florence Nightingale (1820-1910), Frédéric Joli revient sur le rôle capital joué par le Genevois, Henri Dunant (1828-1910). Il retrace ainsi à grands traits le parcours du fondateur du CICR : une vie tout entière dédiée à l’humanitaire, qui sera finalement couronnée par le premier prix Nobel de la paix en 1901 partagé avec le pacifiste Frédéric Passy. Philippe Ryfman, quant à lui, rappelle la contribution déterminante d’un autre Genevois Gustave Moynier (1826-1910) qui a beaucoup oeuvré à la mise en place des dispositifs juridiques de protection des victimes de conflits. Pour leur part, Alain Boinet et Jacques Serba soulignent l’impact des deux guerres mondiales et le tournant des années soixante- dix, qui marquera les débuts du sansfrontiérisme.
2 Comment analyser le succès « foudroyant » (Philippe Ryfman) du CICR dès ses débuts puis la perte progressive de son « monopole » (Philippe Ryfman), mouvement qui s’est amorcé dès la fin du XIXème siècle et s’est ensuite accéléré : à quoi, à quels autres acteurs (ONG, OI, etc.) l’imputer précisément ?
Tous les participants s’accordent pour attribuer ce succès en premier lieu au talent de « grand communicant » d’Henri Dunant, qui a su recourir à la presse et mobiliser l’opinion publique, notamment avec la publication d’Un souvenir de Solferino, un ouvrage qui sera tiré à plusieurs millions d’exemplaires. En outre, dès le début, le CICR a témoigné d’un professionnalisme indéniable et donc d’une grande efficacité. Enfin, les participants ont également insisté sur a) le mandat du CICR, b) sa marque hautement symbolique et intemporelle – La Croix Rouge – et c) le principe de neutralité sur lequel cette organisation est fondée et dont elle se réclame toujours : autant d’éléments constitutifs qui en font, aujourd’hui encore, un acteur spécifique, distinct des ONG humanitaires.
Selon les intervenants, « la perte de monopole du CICR » (Philippe Ryfman) serait due ensuite à la montée en puissance des ONG humanitaires et à leur nouveau répertoire d’action (advocacy, veille normative, « loi du tapage médiatique », approche globale liée au développement, etc.) ; ce que chacun a illustré à partir d’exemples tirés de son expérience de terrain (Afghanistan, Bosnie, Irak, Kosovo, Pakistan).
1 Au cours des dernières décennies, le champ de l’humanitaire n’a cessé – et ne cesse aujourd’hui encore – de se professionnaliser. Pourquoi ?
Un besoin de financement et un souci d’efficacité ont induit un processus de professionnalisation qui a progressivement éloigné les ONG du simple bénévolat. En effet, dès lors qu’elles ont pu obtenir des bailleurs publics (États, UE avec ECHO et d’autres organisations interétatiques, comme la Banque mondiale, etc.) l’allocation de fonds considérables, des évaluations et contrôles ont été mis en place. Les ONG ont alors dû être en mesure de les satisfaire. Dans le même temps, elles sont entrées en compétition les unes avec les autres. Une telle logique de structure a donc contribué au mouvement de professionnalisation croissante que l’on peut encore observer. Ainsi, les contributeurs ont-ils montré comment une division du travail de plus en plus fine s’était fait jour au sein des ONG, avec l’apparition et l’institutionnalisation de nouveaux métiers au sein même du champ de l’humanitaire (communication, marketing, ressources humaines, logistique, etc.). Là encore, de nombreux exemples issus du terrain ont été rapportés et analysés, notamment par Marina Catena, Alain Boinet et Jacques Serba.
2 Les médias sont désormais totalement parties prenantes de la question humanitaire, comment appréhender cette donnée structurelle ?
Les contributeurs ont reconnu le rôle essentiel de la médiatisation pour parvenir à mettre à l’agenda un dossier humanitaire. À cet égard, Alain Boinet a rappelé la formule provocatrice, mais pertinente de Bernard Kouchner : « un conflit non médiatisé n’existe pas ». Ils ont cependant distingué plusieurs types d’interactions ONG/médias. Leurs analyses et témoignages se sont centrés sur trois points distincts : a) l’entente entre les médias et les ONG pour faire silence sur des négociations en cours, secrètes et très délicates, de manière à les préserver et leur donner le plus de chance possible d’aboutir (Alain Boinet) ou bien encore une coopération destinée à échanger des informations ; b) l’absence parfois de vérification des sources par les journalistes. Ce faisant, les médias peuvent alors nuire à la crédibilité des ONG, en diffusant et colportant des rumeurs malveillantes, comme l’a montré Jacques Serba ; c) tous les participants ont signalé combien les médias ne mènent pas toujours le travail d’enquête qu’ils pourraient pourtant entreprendre, comme dans le cas du Darfour, par exemple.
En guise de conclusion : que signifie l’expression gouvernance de l’humanitaire ? À cet égard, comment situer le rôle du droit ?
Alain Boinet et Jacques Serba ont tenu à bien distinguer et détailler d’une part la gouvernance interne – avec ses propres modalités d’évaluation et d’expertise –, mise en place par chaque ONG, et d’autre part, la gouvernance mondiale avec le rôle dévolu aux Nations unies. Philippe Ryfman et Frédéric Joli ont par ailleurs abordé les bouleversements que connaît actuellement le droit international humanitaire, lui-même partie intégrante d’un droit international public en pleine explosion normative.
Les questions posées par l’assistance ont ensuite permis de revenir sur certains thèmes abordés, en détaillant des cas précis (Birmanie, Somalie, ou bien analyse d’itinéraire personnel d’engagement humanitaire).
Ouvrages
> Agier M., Gérer les indésirables – Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Paris, Flammarion, 2008.
> Barnett M., Weiss G. T. (Éds), Humanitarianism in Question : Politics, Power, Ethics, New-York, Cornell University Press, 2008.
> Benthall J., Bellion-Jourdan J., The Charitable Crescent. Politics of Aid in the muslim world, London, IB Tauris, 2003.
> Bouchet-Saulnier F., Dictionnaire pratique du droit humanitaire, 3ème éd., Paris, La Découverte, 2006.
> Catena M., Una Donna per soldato: diario di una tenente italiana in Libano, BUR Biblioteca Univ Rizzoli, 2008.
> Deloche A., Comme un éléphant blanc, agir à cœur ouvert, Paris, Michel Lafont, 2006.
> Dunant H., Un Souvenir de Solférino, [1889], New York, Adamant Media Corporation, 2001.
> Holzgrefe J.-L., Keohane R.-O. (Éds), Humanitarian Intervention, Ethical, Legal and Political Dilemmas, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.
> Kouchner B., L’Ile de lumière, Paris, Ramsay, 1980.
> Mercier M., Comité International de la Croix-Rouge : l’action humanitaire dans le nouveau contexte mondial, Genève, Le Savoir suisse, 2004.
> Thibault Ch., L’Archipel des camps. L’exemple cambodgien, Paris, PUF, 2008.
Internet
> CICR : www.cicr.org/fre/nouv/
> ECHO (Commission européenne) : http://ec.europa.eu/echo/index_fr.htm
> Coordination SUD (coordination centrale des ONG françaises de solidarité internationale) : www.coordinationsud.org
> IRIN (Agence d’informations sur l’humanitaire des Nations Unies) : www.irinnews.org/fr/
> La Revue Humanitaire : www.medecinsdumonde.org/index.php/fr/publications/la_revue_humanitaire
> L’interview en français de Marina Catena sur Euronews en septembre 2009 : « Une femme soldat et humanitaire » : http://fr.euronews.net/2009/09/05/marina-catena-le-militaire-et-l-humanitaire/
> Le blog de Frédéric Joli, L’Humanitaire dans tous ses États, propose un regard sur l’action et le droit international humanitaires : http://cicr.blog.lemonde.fr
> Philippe Ryfman : www.philippe-ryfman.fr