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PAC 15 – Un multilatéralisme sans contraintes Les engagements des États dans le cadre de Copenhague

Par Simon Uzenat

Passage au crible n°15

Source : Pixabay

Organisées sous l’égide de la CCNUCC (Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques), les négociations avaient pour objectif de parvenir à un accord juridiquement contraignant lors de la 15eCdP (Conférence des Parties), qui s’est tenue à Copenhague du 7 au 19 décembre 2009. Il s’agissait en l’occurrence de prolonger et d’intensifier les efforts programmés par le protocole de Kyoto – qui arrive à échéance le 31 décembre 2012 – et d’établir ainsi le futur régime multilatéral de régulation climatique.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

En décembre 1997, les délégués à la troisième CdP se sont accordés à Kyoto sur un protocole –formellement entré en vigueur en 2005 – qui engageait les pays industrialisés, mentionnés dans l’Annexe I, à réduire d’ici 2012 leurs émissions globales de GES (Gaz à Effet de Serre) d’une moyenne de 5,2% en deçà de leurs niveaux de 1990. En outre, cet accord organisait un système international de vérification et prévoyait l’instauration de mécanismes de sanctions. Les discussions menées dans le cadre de la conférence de Bali en décembre 2007 (CdP 13) ont par ailleurs abouti à l’adoption du PAB (Plan d’action de Bali) ainsi qu’à un processus biennal – la Feuille de route de Bali – qui fixait une date butoir pour l’achèvement des négociations lors de la CdP15 à Copenhague.

À cet égard, l’orientation poursuivie obéissait à une approche supranationale, marquée par la force d’une expertise transnationale (le GIEC), la légitimité du système onusien et l’unité européenne. À tel point que l’administration Clinton signa le protocole de Kyoto, sans pour autant obtenir par la suite la ratification du Congrès. Ce traité compte aujourd’hui 189 parties ; et même si les États-Unis reconnaissent désormais le rôle des GES sur le climat et la santé, ce pays refuse toujours la logique de Kyoto exigeant un objectif global réparti ensuite entre les pays, à proportion de leurs responsabilités passées et actuelles. Quant aux pays émergents – au premier rang desquels figurent le Brésil, la Chine et l’Inde – et aux PMA (Pays les Moins Avancés), ils entendent avant tout faire respecter leur droit au développement. Pour ce faire, ils n’hésitent pas à utiliser les organisations internationales pour corriger les disparités économiques, sociales et territoriales entre pays industrialisés et PED (Pays En Développement). En l’espèce, l’Accord de Copenhague apparaît principalement comme le produit de ces rapports de force et enregistre la poursuite d’une redistribution mondiale de l’autorité politique.

Cadrage théorique

La conclusion de cet accord et les engagements fournis par les États au 31 janvier 2010, renvoient à deux concepts étroitement liés.

1. Le multilatéralisme. Loin de se réduire à la description d’une nouvelle configuration interétatique, il désigne plutôt l’émergence d’une nouvelle gouvernance mondiale, fragmentée et hybride. Associant acteurs privés et publics, États et sociétés civiles, superposant le micro et le macro, cette dernière demeure au centre des recherches et des discours sur une prétendue démocratisation des relations internationales. Or, il s’avère que cette dynamique comprend plusieurs processus équivoques et engage, à ce titre, des visions du monde extrêmement hétérogènes. Le multilatéralisme peut alors être davantage appréhendé comme une ressource idéologique et opérationnelle à la disposition des acteurs internationaux.
2. Les BPM (Biens Publics Mondiaux). Avant de représenter un enjeu majeur des relations internationales, les BPM apparaissent comme le produit original d’une construction sociale qui puise son sens dans une vision intégrée – voire sacralisée – du développement, tant dans l’espace que dans le temps. À cet égard, une expertise et un savoir transnationalisés constituent aussi bien une condition de possibilité que les outils privilégiés d’évaluation d’une démarche objective. Toutefois, cette rationalité contemporaine entre parfois violemment en conflit avec les cadres historiques de souverainetés publiques et privées étroitement circonscrites.

Analyse

Un très grand nombre d’observateurs estime que le sommet de Copenhague n’a conduit qu’à un accord minimaliste sacrifiant l’intérêt général de l’Humanité. En effet, iI rompt brutalement avec l’esprit de Kyoto. Certes, il conforte le septième principe de la Déclaration de Rio (1992) relatif aux « responsabilités partagées et différenciées » des États, mais il se contente d’enregistrer la proposition du GIEC de limiter la hausse des températures à 2°C. Par ailleurs, il ne prévoit aucun mécanisme international de vérification et de sanction. Il faut en outre noter qu’aucun pays ne l’a formellement signé en décembre 2009, l’Assemblée plénière de la CCNUCC se contentant d’en prendre note.

Il convient cependant de dépasser ces approches normatives afin de mieux cerner les principes d’organisation et les lignes de force d’une gouvernance mondiale – de l’environnement notamment – encore très largement en chantier. De façon générale, l’Accord de Copenhague, qui intervient 16 mois après la chute de Lehmann Brothers, marque une étape importante dans la redéfinition des sphères publiques et privées. Au lieu de stigmatiser l’individualisme stato-national, il conviendrait plutôt d’analyser en quoi la crise économique et financière – et les nouvelles relations qui se sont nouées entre organisations internationales, systèmes bancaires et gouvernements – a accéléré l’hybridation des cadres de gouvernance et contribué à rendre encore plus hétérogènes les intérêts d’acteurs de plus en plus nombreux et compétents. Ce faisant, les stratégies de négociation des États expriment des visions du monde plus spécifiques et, par conséquent, plus difficilement conciliables. Enfin, l’absence de transparence lors des négociations de Copenhague – les pays en développement en ont été écartés, tandis que les ONG ne pouvaient accéder au centre de conférences – a largement contribué à crisper les positions de chacun et à fragiliser les positions les plus ambitieuses.

Il s’agit donc moins de la faillite du système interétatique proposé par l’ONU que de la difficulté à établir un régime multilatéral intégrant toutes les parties concernées : les firmes, les collectivités locales ou les ONG. En outre, même si les réflexions de la CCNUCC se fondaient sur les travaux du GIEC depuis la 1ère CdP à Berlin en 1995, la crise de légitimité, traversée par ce dernier, affaiblit considérablement son autorité. Dès lors, l’adoption d’un instrument juridiquement contraignant et s’imposant à tous les États demeurait tout à fait improbable. Inversant la logique qui avait prévalu à Kyoto – et tirant les leçons de son échec car l’objectif de 5% n’a même pas été atteint –, l’Accord de Copenhague définit donc un cadre de coopération fondé sur la flexibilité et le seul volontarisme. En témoigne la diversité des engagements pris par les États en la matière – transmis à la CCNUCC le 31 janvier 2010 – et dont le cumul permet d’envisager une baisse de 13,3% à 17,9% des émissions des pays industrialisés à l’horizon 2020 par rapport aux niveaux de 1990, très en retrait par rapport aux 25 à 40% jugés nécessaires par le GIEC dans son 4ème rapport (2007). L’Europe a ainsi programmé une diminution de 20% par rapport à 1990, les Etats-Unis de 17% par rapport à 2005 (soit 4% par rapport à 1990), la Russie de 25% par rapport à 1990 (soit une hausse de 13,5% par rapport à 2007), la Chine une réduction de l’intensité carbone de 45% par rapport à 2005 et l’Inde de 24%.

Le multilatéralisme doit donc être avant tout compris comme une nouvelle fenêtre d’opportunité et d’expression de stratégies singulières. À cet égard, le sommet de Copenhague dessine une nouvelle architecture de la scène mondiale et l’Accord, un dispositif mondialisé de consentement.

Références

Kaul Inge, Grunberg Isabelle, Stern Marc (Ed.), Global Public Goods. International Cooperation in the 21st Century, New York, Oxford University Press, 1999.
Keohane Robert O. (Ed.), International Institutions and State Power, Boulder, Westview Press, 1989.
Kindleberger Charles P., The International Economic Order. Essays on Financial Crisis and International Public Goods, Berkeley, University of California Press, 1986.
Knight Andy, A Changing United Nations: Multilateral Evolution and the Quest for Global Governance, New York, Palgrave, 2000.
Petiteville Franck, Le Multilatéralisme, Paris, Montchrestien, 2009.