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PAC 57 – Le coût sanitaire et environnemental du développement chinois La pollution de la rivière Longjiang par l'entreprise minière Guangxi Jinhe Mining Co.Ltd

Par Valérie Le Brenne

Passage au crible n°57

Port Guangxi Qinzhou, Pixabay

Le 15 Janvier 2012, l’entreprise minière Guangxi Jihne Mining Co.Ltd a pollué la rivière Longjiang (située dans la région autonome du Guangxi, au sud de la Chine) en y déversant du cadmium (produit lié à l’exploitation du zinc et hautement toxique). Comme la pisciculture demeure une activité essentielle, la mort de centaines de poissons a donné le signal d’alarme aux autorités locales qui ont aussitôt tenté de neutraliser le produit. Liuzhou, deuxième ville la plus importante de la région, située à 60 km en aval de la pollution, se trouve ainsi directement exposée. Malgré des discours officiels teintés d’optimisme, les habitants de la ville se sont précipités vers les supermarchés afin de s’approvisionner en bouteilles d’eau, renforçant ainsi le risque de pénurie.

Cet incident vient s’ajouter à une longue liste de pollutions industrielles des eaux enregistrées en Chine ces dernières années. Ces dommages interviennent alors même que le pays connaît des disparités hydrauliques considérables ainsi qu’une pénurie d’eau croissante, sans compter que les besoins en ressources énergétiques multiples augmentent de manière exponentielle.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Depuis 1979, sous l’impulsion de Deng Xiaoping, la Chine est progressivement entrée dans l’économie de marché et a atteint des niveaux de croissance et de compétitivité qui en font désormais la deuxième puissance économique du monde. Parmi les multiples objectifs de sa transition, celui visant à réduire le volume des importations tout en augmentant les exportations s’est traduit par un fort développement industriel, posant de facto la question de l’approvisionnement énergétique nécessaire à un tel niveau d’activité. L’existence de sous-sols riches en énergies (pétrole, charbon, uranium), en minerais métalliques (cuivre, zinc, bauxite…) et non métalliques (graphite, soufre, phosphore…) a rapidement entraîné de vastes campagnes de prospection et l’ouverture de nombreux sites miniers, coïncidant avec la création de nombreuses entreprises d’extraction.

À partir des années quatre-vingt-dix, la question énergétique s’est également posée avec le problème de l’inégale répartition de l’eau sur le territoire. En effet si la Chine du Sud présente d’abondantes ressources hydrauliques, permettant la riziculture, le Nord reste en revanche marqué par une pénurie d’eau et un climat aride. L’ambition d’opérer un rééquilibrage par le transfert Sud-Nord culmine d’ailleurs dans le projet du barrage des Trois Gorges réalisé en 1992, et pour lequel la Chine a été condamnée au Tribunal International de l’Eau de La Haye, à la suite d’une plainte du Canada.

Dans le même temps, la Chine est entrée dans un processus de transition urbaine. L’affluence de migrants ruraux a conduit à l’émergence de villes nouvelles, dont le nombre est passé de 69, à la fin des années 1940, à 670 au cours de la décennie deux mille. L’augmentation de la demande de biens de consommation, à laquelle s’ajoute l’ouverture économique des villes côtières aux entreprises étrangères, sont ainsi venues accroître la production industrielle. Dès lors, les pollutions liées aux activités industrielles, qu’il s’agisse de la pollution de l’air, liée à l’extraction du charbon, ou celle de l’eau par les rejets d’effluents toxiques, se sont multipliées, engendrant de lourds risques pour la santé publique.

Cadrage théorique

1. La pression sur les ressources énergétiques : afin de répondre à une demande aussi bien nationale que mondiale, le développement économique fait peser sur l’industrie chinoise des impératifs de productivité. Ainsi, l’accroissement de la pression sur les ressources énergétiques a-t-il accéléré la privatisation des entreprises par l’État chinois. Pour autant, le passage à la logique de marché participe, selon l’expression de Susan Strange, d’une « dispersion du pouvoir » qui rend plus complexes les tentatives de régulation étatique.

2. L’émergence d’une société civile chinoise : la multiplication des incidents industriels a favorisé l’émergence d’une société civile. Cette dernière se manifeste particulièrement en matière de santé publique et d’environnement. Ces questions représentent pour les acteurs sociaux des pôles de structuration, dont certains – forts de liens transnationaux – semblent actuellement être pris en considération par les autorités.

Analyse

La pollution au cadmium de la rivière Longjiang par l’entreprise minière Guangxi Jinhe Mining Co.Ltd s’avère symptomatique des impératifs de productivité et de compétitivité que fait peser la croissance économique sur l’industrie. En effet, le poids de la production industrielle engendre une pression constante sur les sources d’énergie dont la maîtrise constitue un enjeu stratégique majeur. Dans cette perspective, les entreprises d’extraction doivent renforcer leur niveau d’activité, en réalisant de meilleurs rendements et en diversifiant leurs sources d’approvisionnement. À présent, de nombreuses firmes chinoises sont implantées en Afrique et concurrencent les groupes occidentaux sur le marché énergétique. Cependant, si la privatisation croissante rend davantage possible la transformation de ces entreprises en sociétés transnationales, elle réduit dans le même temps la capacité de régulation de l’État.

En fait, cet incident révèle l’absence de législations contraignantes en matière de responsabilité environnementale des entreprises, lesquelles ont pourtant provoqué de très nombreuses pollutions industrielles. Les multiples rejets d’effluents toxiques, tels que le cadmium, sont aujourd’hui à l’origine d’un véritable problème de santé publique. La consommation d’eau non-potable expose les populations à d’importants risques de cancers. De plus, l’agriculture se trouve également affectée par les impacts environnementaux de ces activités. En 2011, une étude publiée par l’hebdomadaire économique Xin Shiji révélait que 10% du riz produit en Chine, et exporté à l’étranger, présentait des traces de cadmium.

Face à l’ampleur de ces dommages environnementaux, et sous la pression conjuguée des organisations internationales et des ONG, les autorités chinoises visent dorénavant à réduire leur consommation énergétique et à lutter contre les pollutions industrielles. Outre la création d’autorités locales chargées de contrôler les niveaux de pollution, le gouvernement autorise, à des conditions très strictes, l’existence d’ONG environnementales et la présence d’ONG internationales. Bénéficiant d’un déficit de prise en charge étatique, les acteurs de la société civile chinoise sont par conséquent conduits à se structurer autour de la cause environnementale. Tout en informant les populations des risques encourus, ils détiennent également une certaine capacité à infléchir les politiques étatiques, en s’appuyant notamment sur de multiples réseaux de solidarité transnationaux. Preuve de leur importance croissante, le gouvernement chinois incite désormais les ONG environnementales à participer au processus de « black listing » des entreprises polluantes.

Références

Chen Jie, « ONG chinoises, société civile transnationale et pratiques démocratiques », Perspectives chinoises, 97, sept-déc 2006.
Colonomos Ariel (Éd.), Sociologie des réseaux transnationaux: communautés, entreprises et individus. Lien social et système international, Paris, L’Harmattan, 1995.
Keck Margareth, Sikkink Kathryn, Activists beyond Borders: Advocacy Networks in International Politics, Ithaca/London, Cornell University Press, 1998.
Strange Susan, Le Retrait de l’État. La dispersion du pouvoir dans l’économie mondiale, [1996], trad., Paris, Temps Présent, 2011.