Le mardi 24 novembre, dans l’amphithéâtre Gestion de la Sorbonne, s’est tenue la deuxième table ronde du Mécano de la scène mondiale.
Autour de l’ouvrage de Catherine Wihtol de Wenden, La Globalisation humaine, et de son auteur, Chaos International a réuni le directeur général de France Terre d’Asile, Pierre Henry, l’un des responsables du Programme Migrations internationales de l’UNESCO, Antoine Pécoud et un administrateur principal à la direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE, Jean-Christophe Dumont.
La synthèse de la deuxième séance du cycle Le Mécano de la scène mondiale organisée autour de l’ouvrage de Catherine Wihtol de Wenden, La Globalisation humaine
Le mécano de la scène mondiale
Autour de l’ouvrage de Catherine Wihtol de Wenden
La Globalisation humaine, Éditions PUF 2009
Avec
Jean-Christophe Dumont, Administrateur principal à la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE
Pierre Henry, Directeur général de France Terre d’Asile
Antoine Pécoud, Programme Migrations internationales, UNESCO
Cathrine Wihtol de Wenden, Directrice de recherche au CNRS-CERI
> I. La mobilité mondialisée, un défi pour les États
> II. Logique transnationale du migrant versus logique sécuritaire des États
> conclusion
I. La mobilité mondialisée, un défi pour les États
1 À présent, il convient de parler de globalisation des migrations. Comment se décline ce phénomène ? Quelles sont ses caractéristiques ? Quels sont actuellement les principaux facteurs de mobilité ?
En commentant plusieurs cartes, Catherine Wihtol de Wenden revient sur les lignes de force caractérisant la situation actuelle. Depuis les années quatre-vingt, le monde connaît un phénomène de migrations mondialisées aux caractéristiques suivantes : 1) Les États ne sont plus en capacité de contrôler leurs frontières car ils doivent faire face à un mouvement d’accélération, de mondialisation et de régionalisation des flux migratoires. 2) Les perceptions et la réalité de la citoyenneté se sont brutalement transformées. 3) Le migrant est devenu un acteur – « un décideur » – de la scène mondiale. 4) La notion de circulation migratoire s’est imposée.
Les autres membres de la table ronde illustrent par des exemples (Afrique subsaharienne, Balkans, Asie) ces différents points et précisent la dimension économique qu’ils revêtent.
2 La question migratoire est intimement liée à celle du développement ou du non- développement (pays de départ/pays d’accueil, IDH (Indice de développement Humain), Nord/Sud ; Sud/Sud ; Est-Ouest), comment appréhendez l’intrication entre ces différentes réalités sociales ?
Les contributeurs s’accordent pour souligner que ce ne sont pas les individus les plus pauvres qui partent. En effet, se pose en premier lieu la question du coût, avec notamment le paiement exorbitant des passeurs et la nécessité de disposer de moyens de subsistance durant tout le passage. En second lieu, Catherine Wihtol de Wenden insiste sur la construction d’un imaginaire migratoire qui préside au départ de tout migrant.
Les participants rappellent que – contrairement aux idées reçues – l’impact de la migration sur la pauvreté n’est ni direct, ni flagrant. En d’autres termes, la migration ne produit pas nécessairement du développement. Certes, un cercle vertueux peut se mettre en place, mais encore faut-il qu’un certain nombre de conditions socio-économiques soient réunies au préalable dans le pays de départ. Autrement dit, il n’existe pas de lien de causalité automatique migration/développement. En prenant l’exemple des Turcs qui ont migré en Allemagne, Antoine Pécoud documente l’apport positif des migrants pour le pays d’accueil, tandis que Pierre Henry et Jean-Christophe Dumont remarquent l’effritement des transferts de fonds dus à la crise actuelle. À cet égard, les experts ont redécouvert combien ces mouvements financiers avaient été déterminants et bénéfiques pour les pays de départ durant les périodes de croissance (305 milliards d’euros en 2008, soit un montant supérieur à l’APD (Aide Publique au Développement). Sur ce point Pierre Henry détaille l’exemple du Sénégal, un pays dont 40% de la population peut se prévaloir d’au moins un membre de sa famille qui est un expatrié.
II. Logique transnationale du migrant versus logique sécuritaire des États
1 Dans les pays d’immigration se pose le problème des droits culturels. Parfois explicitement énoncés – voire revendiqués – ils font débat au sein des pays d’accueil, lorsque l’on mobilise des termes comme multiculturalisme, métissage culturel ou bien encore pluralisme culturel. Ces droits doivent-ils être reconnus, protégés, voire institutionnalisés ? Que disent-ils du cadre stato-national et du pacte social ?
Jean-Christophe Dumont conteste le terme même de droits culturels et voit dans les revendications culturelles avant tout l’échec des politiques d’intégration. À ses yeux, le critère discriminant reste, en dernière instance, de nature exclusivement économique. Pierre Henry partage également cette analyse, tout en ajoutant que pluralisme culturel devrait signifier uniquement : droit à une égalité de traitement pour tous. Puis, les contributeurs engagent leur réflexion sur la question de l’intégration nationale et sur celle du rapport existant entre le cadre stato-national et la notion de citoyenneté. Pour ce faire, de nombreux exemples de politiques de régularisation sont analysés et commentés. Antoine Pécoud revient, quant à lui, sur les stratégies déployées par nombre de minorités pour préserver leur spécificité dans le pays d’accueil où elles sont installées.
2 Dans son rapport 2009, le PNUD écarte les clichés et les idées reçues en montrant que les migrations Sud-Nord sont en fait minoritaires. Pourtant, dans les pays du Nord, les flux migratoires suscitent souvent la peur, et donnent prétexte à la mise en œuvre de politiques restrictives, voire de politiques de discrimination et d’exclusion (fermeture par la France de la « jungle de Calais », expulsion par la France et le Royaume-Uni d’Afghans vers leur pays en guerre, criminalisation de l’immigration clandestine, restriction du droit d’asile, discriminations, ghettoïsation, sans-papiers, etc.). Qu’inspire cette approche sécuritaire du fait migratoire ? Que penser de l’emprise des représentations sur des données objectives ?
Pour Pierre Henry, les États gèrent et instrumentalisent le plus souvent des représentations fondées sur trois types de peur : 1) peur du nombre, 2) peur de l’insécurité, 3) peur de l’identité. Or, en dépit de cette vision sécuritaire, les politiques de régularisation sont mises en œuvre dans tous les pays sur la base de deux critères inchangés depuis des décennies : 1) le travail, et 2) la résidence.
Il existe donc une forte contradiction entre un recours nécessaire au fait migratoire et ces représentations phantasmatiques. Mais ces dernières interdisent cependant une optimisation socio- économique de l’immigration par les pays d’accueil. C’est d’autant plus flagrant, note Jean- Christophe Dumont, lorsque l’on examine l’économie des pays membres de l’OCDE qui ont pourtant besoin de ces flux migratoires. Catherine Wihtol de Wenden explique alors que ces représentations constituent une véritable entrave au propre développement de ces pays d’accueil. En effet, pour que les migrants puissent produire des effets positifs sur leur économie, il conviendrait qu’ils soient intégrés et non condamnés à se cacher et à travailler dans la clandestinité.
En guise de conclusion : une gouvernance mondiale des flux migratoires est-elle possible, et à quelles conditions ? Un droit universel à la mobilité est-il envisageable ?
Après avoir évoqué le Forum mondial sur les migrations qui s’est tenu à Athènes en novembre 2009, sous la haute autorité des Nations unies, Catherine Wihtol de Wenden estime qu’une gouvernance mondiale des migrations est en train d’émerger depuis quelques années. Cette dernière permettra, selon elle, de construire pas à pas un droit universel à la mobilité. Elle indique deux éléments constitutifs de cette nouvelle donne : 1) la migration est désormais définie et considérée comme un bien public mondial, 2) le multilatéralisme s’est considérablement renforcé depuis la fin de la bipolarité.
En revanche, tous les autres participants de la table ronde font état d’une approche plus désenchantée et ne voient s’amorcer aucune démocratisation du droit de circuler.
A la fin de la table ronde, les questions de l’assistance permettent d’aborder le thème des réfugiés climatiques et la position du HCR (Haut Commissariat pour les Réfugiés et Apatrides) en la matière. Mais elles incitent aussi les intervenants à revenir sur les politiques des États d’accueil et sur l’IDH (Indice de Développement Humain), que le PNUD doit prochainement modifier. En l’occurrence, il s’agirait d’incorporer une batterie de nouveaux critères, conçus au plus près de la réalité vécue par les populations.