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PAC 6 – Le travail des enfants, une violence Nord-Sud 20e anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant

Par Josepha Laroche

Passage au crible n°6

EnfantsSource: YouTube

La Convention internationale sur les droits des enfants a été adoptée le 20 novembre 1989 et a été ratifiée depuis par tous les pays du monde, à l’exception des États-Unis et de la Somalie. Ce texte reconnaît « le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social » (article 32). Or, en 2009, un milliard d’enfants voient leurs droits les plus élémentaires quotidiennement bafoués, tandis que plus d’un million sont encore victimes de la traite. Parmi toutes les formes de violence, examinons celles qui concernent le travail, auquel ils sont contraints, principalement dans les PED (Pays en développement). Dans son rapport de 2004, l’OIT (l’Organisation Internationale du Travail) estime en effet qu’il y a actuellement dans le monde plus de 360 millions d’enfants de 5 à 17 ans qui travaillent, soit 1 enfant sur 4.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau lié au processus de mondialisation. En Occident, les enfants ont travaillé dès le Moyen-Âge, participant ainsi à l’économie domestique. Hors du cercle familial, ils faisaient l’objet de contrats de louage, offrant de fait une main-d’œuvre docile, peu coûteuse, voire gratuite. La Révolution industrielle a marqué ensuite un tournant historique car ils ont alors opéré également dans les mines, les filatures, les usines de métallurgie et les grandes manufactures. Mais la priorité est toujours restée la même: ajuster et réduire les coûts, tout en disposant de travailleurs particulièrement vulnérables et soumis. Il faudra finalement attendre la fin du XIXe siècle pour voir les pays développés, – grâce notamment à la scolarisation obligatoire – s’acheminer vers une réglementation puis une abolition du travail des enfants.

Au plan mondial, l’OIT – qui comprend 181 États membres – a désormais fixé à 15 ans, l’âge minimum d’admission à l’emploi. En 1976, cette institution a adopté un traité spécifiquement dédié au travail des enfants : la convention 138. Cette dernière interdit le travail avant la fin de la scolarité obligatoire de chaque pays, et en tous les cas avant 15 ans. Surtout, elle prohibe formellement toute activité susceptible de mettre en danger « la santé, la sécurité ou la moralité » des jeunes avant 18 ans. Ce texte n’a toutefois été ratifié que par 150 pays même si, en 1992, l’OIT s’est dotée d’un programme international d’élimination du travail des enfants (IPEC) financé par certains pays développés.

Cadrage théorique

Deux logiques interdépendantes sont à l’œuvre.

1. L’accentuation du clivage Nord-Sud. Cette exploitation est due à la misère socio-économique et à la déficience des systèmes éducatifs existant dans les pays dits du Sud. Les pays industrialisés accusent souvent les pays en développement de dumping social. En revanche, ces derniers considèrent que l’imposition de normes occidentales – comme l’interdiction du travail des enfants – représente en fait une forme masquée de protectionnisme dont la seule finalité vise à leur interdire d’être compétitifs sur les marchés mondialisés ; les producteurs occidentaux étant ainsi indirectement protégés par ce qui est dénoncé comme l’idéologie des droits de l’Homme. En l’occurrence, les PED stigmatisent ce qu’ils qualifient d’« offensive déloyale », destinée à leur faire perdre un avantage comparatif.
2. La mobilisation mondiale des acteurs non-étatiques. Les organisations interétatiques (l’ONU elle-même ou certaines de ses institutions spécialisées comme l’OIT et l’UNICEF), les ONG et les réseaux de citoyens-consommateurs participent – à travers leurs interactions incessantes – à modifier les politiques des États et les stratégies des firmes transnationales sur cette question.

Analyse

Les années quatre-vingt ont été marquées par une sensibilisation des sociétés civiles au travail des enfants et à l’exploitation de cette main-d’œuvre. Depuis, des réseaux formés de milliers d’ONG humanitaires, de syndicats, d’organisations de consommateurs, sont mobilisés et engagés dans des actions de terrain. Pour sa part, l’UNICEF soutient les actions les plus novatrices, comme aux Philippines, au Cambodge ou en Colombie. D’autres ont lancé des campagnes de sensibilisation auprès de certaines organisations internationales – le FMI, la Banque mondiale, l’OIT – et des gouvernements, tout en exerçant d’incessantes pressions sur les responsables économiques.

Des codes de conduites ont ainsi été établis à la suite des campagnes publiques, à l’initiative d’OXFAM et de European Fair Trade Association par exemple. Nombre d’entreprises ont alors compris la nécessité – et surtout l’intérêt économique en termes d’image et de politique commerciale – d’adopter des chartes par lesquelles, elles s’engageaient à respecter les droits de l’enfant dans leur processus de production et par lesquelles elles acceptaient le principe de contrôles indépendants. Pour l’heure, il existe plusieurs centaines de ces accords, dont la moitié mentionne explicitement le travail des enfants, toutes catégories sectorielles confondues. Mais leur adoption ne garantit pas pour autant une application effective : elle peut témoigner d’un simple affichage. Cependant, aucun opérateur économique n’ignore plus à présent que 250 millions d’enfants travaillent dans des conditions inhumaines, particulièrement chez les sous-traitants. Cela permet surtout de faire la lumière sur les véritables conditions de production qui étaient jusque-là occultées. Cela conduit plus encore les consommateurs à s’interroger sur les raisons pour lesquelles, certains produits manufacturés provenant des PED, affichent des prix anormalement bas. C’est pourquoi certains ont mis en œuvre une éthique de l’achat et créé des circuits alternatifs de fabrication et de consommation éthiquement corrects, correspondant à des conditions telles que les droits de l’Homme soient respectés, a fortiori les droits de l’enfant. Ce commerce équitable – Fair Trade – entend soutenir le développement des pays du Sud, notamment à travers la mise en place de labels sociaux, comme L’éthique sur les étiquettes, Rugmark, ou bien encore Step, créé en 1995 par Caritas Swissair.

Quant aux campagnes de boycott, elles soulignent le débat existant entre les abolitionnistes et les non-abolitionnistes. Relayées par des ONG de consommateurs, telles la National Comsumers League ou encore le réseau Child Labor Coalition, elles ont conduit à la mise sous surveillance internationale de certaines firmes comme Nike, Gap et Disney. Cette stratégie revêt incontestablement des effets positifs. Toutefois, elle peut aussi entraîner des effets pervers – chômage, prostitution – et déplacer simplement le problème ; les enfants allant vers d’autres employeurs, occultes et plus terribles. Ces mobilisations restent donc à double tranchant. Certes, elles donnent un coup de semonce et modifient souvent la stratégie de production de firmes transnationales, très sensibles à l’état de l’opinion publique et à l’écoute des consommateurs. Néanmoins, elles ne sauraient, à elles seules, régler les inégalités de développement et les disparités sociales existant à l’intérieur même des PED.

Références

Fombrun Charles, Reputation: Realizing Value from the Corporate Image, Cambridge, Harvard University Press, 1996.
Hirschman Albert, L’Économie comme science morale et politique, trad., Paris, Seuil, 1974.
Landrai Ndembi Denise, Le Travail des enfants en Afrique subsaharienne, Paris, L’harmattan, 2006. Manier Bénédicte, Le Travail des enfants, Nouv. Éd., Paris, La Découverte, 2003. Coll. Repères (265). Winston Morton, « NGO Strategies for Promoting Social Responsability », Ethics and International Affairs, 16 (1), 2002, pp. 71-88.