PAC 160 – La pollution mortifère des océans par les microplastiques Le rapport de l’UICN, 22 fév. 2017

Par Valérie Le Brenne

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Le 22 février 2017, l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) a publié un rapport consacré à la pollution des océans par les microplastiques. Selon l’organisation, ces particules invisibles – d’un diamètre inférieur à 5 mm – représenteraient 15 à 30% des 9,5 millions de tonnes de plastique qui se déversent chaque année en mer.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique
Rappelons que les premiers polymères artificiels ont été créés durant la seconde moitié du XIXe siècle. En 1907, le chimiste américain d’origine belge Leo Hendrik Baekeland met au point la bakélite qui trouve rapidement des applications dans le secteur productif. Par la suite, les progrès de la chimie se traduisent par le développement de nouvelles molécules, à l’instar du nylon qui est synthétisé pour la première fois en 1935 par Wallace Hume Carothers de l’Université de Harvard.
Ces avancées inaugurent une nouvelle industrie qui connaît un essor fulgurant après la Deuxième Guerre mondiale. À telle enseigne que ce matériau devient l’un des symboles de la société de consommation qui émerge à partir des années cinquante. À cette époque, les biens à durée de vie limitée – stylos billes, briquets jetables, couches pour bébés etc. – inondent le marché et bouleversent les pratiques des ménages. Entre 1950 et 2014, la production mondiale de plastique passe ainsi de 1,7 à plus de 300 millions de tonnes par an.
En 1997, le navigateur américain Charles Moore, empruntant une route habituellement évitée par les skippers, découvre par hasard une immense nappe de déchets dans le gyre du Pacifique Nord. Précisons que ces vortex se forment naturellement sous l’influence des courants et de la rotation de la terre. Suivant le principe de Coriolis, ils exercent une force centripète, ce qui explique la très forte concentration d’éléments en leur centre.
Partant de ce constat, plusieurs expéditions ont été conduites afin de mesurer l’ampleur, déterminer les origines et comprendre les conséquences de cette pollution sur l’environnement marin. Baptisée « septième continent », cette zone occupe une surface comprise entre 1,5 et 3 ,5 millions de km2. On estime que la densité de plastique y est de 5 kg par km2 sur une profondeur moyenne d’environ 10 mètres. Quatre sources ont été identifiées : 1) Les débris directement rejetés en mer, en particulier le matériel de pêche perdu ou sciemment abandonné, 2) Ceux issus des navires, 3) Les ordures qui proviennent du continent, notamment à cause des activités touristiques sur les côtes, et 4) Les rejets d’eaux usées qui, en période de fortes précipitations, déversent toutes sortes de détritus dans les rivières.
Une fois emprisonné à l’intérieur de ces tourbillons, le plastique est agglutiné et progressivement fractionné. Les déchets de taille importante présentent une forte létalité sur la faune aquatique et des tortues peuvent, par exemple, s’étouffer avec les sacs ou être capturées par les engins de pêche dits « fantômes ». Mais les microparticules s’avèrent tout aussi néfastes car elles sont ingérées par les organismes les plus petits (krill, plancton etc.). Enfin, signalons qu’elles retiennent toutes sortes de substances toxiques, ce qui démultiplie la contamination.

Cadrage théorique
1. La globalisation d’une pollution invisible. Plusieurs missions de recherche ont établi la présence d’îlots similaires en Atlantique, en Méditerranée et dans l’Océan indien. Ainsi, cette souillure invisible connaît-elle un double processus de globalisation. Non seulement elle con-cerne désormais l’ensemble des régions océaniques, mais elle affecte en outre tous les niveaux trophiques.

2. La décontamination, un défi politique et technologique. Bien que les effets des micro-plastiques ne soient pas entièrement connus, il apparaît néanmoins indispensable de lutter contre ce fléau à grande échelle. À ce titre, deux leviers sont mobilisés : 1) le nettoyage en mer qui exige des innovations en matière de filtrage et 2) la lutte contre les rejets impliquant une réduction drastique de l’usage des plastiques et leur substitution par des matériaux biodégradables.

Analyse
Le rapport publié par l’UICN tire pour la énième fois la sonnette d’alarme à propos d’un problème connu depuis longtemps. Par ailleurs, il apporte des connaissances inédites. En particulier, les auteurs identifient plusieurs pratiques courantes comme étant des sources majeures de contamination (cosmétiques, lessives, pneus etc.). En outre, ils rapportent un autre phénomène inquiétant en Arctique : le plastique congelé abaisse le point de fusion de la glace ce qui accélère la fonte de la banquise. En fait, cette étude montre surtout combien il s’agit d’un risque global. Ses origines diverses, son étendue, ses conséquences multi-scalaires et son imprévisible combinaison avec d’autres menaces environnementales en font aujourd’hui un véritable désastre écologique.
Signalons que ce document a été publié à l’occasion du quatrième sommet mondial sur les océans qui s’est tenu à Bali du 22 au 24 février 2017. À l’issue de cette rencontre, le PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement) a lancé une campagne baptisée #Oceans-Propres qui prévoit d’éliminer les microbilles présentes dans les cosmétiques et de lutter contre l’utilisation excessive de plastique à usage unique pour l’horizon 2022. Dix pays s’y sont engagés : la Belgique, le Costa Rica, la France, Grenade, l’Indonésie, la Norvège, le Panama, Sainte-Lucie, la Sierra-Leone et l’Uruguay. De surcroît, cette publication intervient quelques mois avant la tenue, en juin prochain, de la conférence des Nations unies sur la mise en œuvre de l’ODD 14. Dédié à la protection de la vie aquatique, cet objectif de développement durable se décline en dix cibles dont la première vise à « prévenir et réduire nettement la pollution marine de tous types, en particulier celle résultant des activités terrestres, y compris les déchets en mer et la pollution par les nutriments ».
Longtemps absents des discussions internationales sur l’environnement, les océans sont de plus en plus intégrés aux différentes négociations. En témoigne leur inscription in extremis en annexe de l’accord conclu à Paris à l’issue de la COP21 en décembre 2015 (PAC 138). Toutefois, cet intitulé rassemble des problématiques extrêmement variées, telles que l’acidification, la dégradation des écosystèmes, la surpêche etc. Par conséquent, les enjeux d’inscription sur l’agenda de ces thèmes concurrents demeurent cruciaux et suscitent des luttes de cadrage.
Effectivement, une partie de la solution passe certes par la mise au point de nouvelles technologies. Cependant, il convient également de déployer des politiques qui limitent la pro-duction et le rejet de ces déchets. Telle est la finalité de la directive européenne 2015/720 qui régule l’usage des sacs plastiques. Mais l’instauration de ce type de règles sur le plan mondial nécessite une coopération efficace qui semble actuellement difficile à mettre en oeuvre, sachant les freins constants au multilatéralisme. En fait, l’arsenal déclaratif paraît en l’état insuffisant, compte tenu des risques qui pèsent sur des environnements dont les services écosystémiques commencent tout juste à être appréciés (production d’oxygène, puits de carbone, régulation du climat etc.).

Références
Boucher Julien, Friot Damien, Primary Microplastics in the Oceans: A Global Evaluation of Sources, Gland, UICN, 2017.
Le Monde.fr, « Les océans pollués par des particules invisibles de plastique », 22 février 2017.
Victor Jean-Christophe, Le Septième continent de plastique, ARTE, Le Dessous des Cartes, 2012.

PAC 159 – La disparition des primates dans le monde L’étude de Science Advances, 18 janv. 2017

Par Valérie Le Brenne
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Mercredi 18 janvier 2017, la revue Science Advances a publié un article portant sur la disparition des singes dans le monde. S’appuyant sur les informations compilées par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), la littérature scientifique et les bases de données des Nations unies, l’équipe dirigée par Alejandro Estrada de l’Université de Mexico analyse pour la première fois le statut, les menaces et les efforts de conservation de cinq cent quatre espèces. Leurs conclusions s’avèrent alarmantes : 60% d’entre elles seraient actuellement en danger d’extinction.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique
Les années 1970 ont été marquées par la prise de conscience des dommages causés à l’environnement par les activités anthropiques depuis la fin du XIXe siècle. La forte croissance démographique et l’augmentation consécutive des prélèvements ont en effet provoqué une perte massive de biodiversité. Renouvelant l’approche malthusienne, plusieurs voix ont alors appelé à une transformation profonde des modes de vie occidentaux.
En 1972, le Club de Rome a publié un rapport fondateur intitulé les Limites de la croissance. Ses auteurs y décrivaient non seulement les atteintes portées aux milieux naturels, mais exposaient mathématiquement un point essentiel : « chaque incrément de dégradation environnementale prend effet toujours plus rapidement qu’à l’itération précédente » (Gunnel, 2009). Cette démonstration cartésienne a ainsi établi l’urgence écologique et contribué à l’inscrire sur l’agenda international.
Soulignons le rôle primordial joué à cet égard par les scientifiques dès l’après-guerre ; l’émergence de la modélisation numérique et les débuts de la collecte de données globales ayant définitivement ancré les technosciences. Celles-ci ont bouleversé les pratiques de production des savoirs en consacrant, par exemple, la quantification minutieuse du vivant. L’exhaustivité de ces recensements a par conséquent permis d’administrer formellement la preuve de l’épuisement des ressources.
À l’instar d’autres disciplines, la primatologie connaît depuis quelques années un renouvellement substantiel. Celui-ci est incarné par l’arrivée d’une nouvelle génération de chercheurs dont les méthodes rompent avec les approches classiques. Recrutées et formées par le célèbre paléoanthropologue Louis Leakey (1903-1972), des figures telles que Dian Fossey (1932-1985) et Jane Goodall (1934-) se sont illustrées dans ce domaine. Outre leurs études pionnières sur le comportement des gorilles, elles ont été les premières à dénoncer le braconnage et à mobiliser la sphère médiatique autour de cette cause.

Cadrage théorique
1. La mise en péril d’une espèce emblématique. Corrélée à la perte de biodiversité sur le plan mondial, la disparition des primates revêt une portée extrêmement symbolique. Ces animaux étant les plus proches des humains, leur extinction nous ramène à notre propre vulnérabilité. Simultanément, ces résultats démontrent l’insuffisance des politiques de préservation.
2. Une science lanceuse d’alertes. La production et la collecte d’informations à grande échelle ont donné lieu à l’élaboration d’analyses inédites. Outre la dégradation accélérée des écosystèmes, ces travaux en identifient les causes et proposent une série de solutions. Bénéficiant d’une médiatisation substantielle, ce type d’études tend à conférer à leurs auteurs un statut de lanceurs d’alertes.

Analyse
Validant les prévisions les plus pessimistes, l’article publié par Science Advances le 18 janvier 2017 confirme la raréfaction des singes à un rythme inquiétant, en particulier à Madagascar, en Asie, en Afrique subsaharienne et en Amérique latine. Au-delà de ce constat brutal, l’extinction de ces mammifères cristallise les risques induits par la détérioration des milieux. Ce faisant, cette étude présente un aspect symbolique en établissant d’une part la responsabilité de nos sociétés dans ce processus d’éradication du vivant, mais aussi en rappelant de manière implicite la dépendance de l’Homme à la nature.
Or, malgré les avertissements répétés, aucune politique publique n’a réussi à mettre un terme à ce phénomène. Au contraire, Alejandro Estrada et ses collègues dressent la liste des principaux facteurs affectant les habitats. Il s’agit de : 1) l’agriculture intensive, 2) l’exploitation forestière, 3) l’élevage, 4) la construction routière et ferroviaire, 5) forages pétroliers et gaziers, 6) des activités minières. Il faut encore y ajouter la chasse et le braconnage ainsi que la pollution et le changement climatique. À l’issue de ce sombre bilan, les chercheurs suggèrent différentes pistes, notamment : 1) la reforestation, 2) l’établissement de zones protégées et 3) la participation des populations locales à leur gestion afin qu’elles puissent en tirer des revenus.
Du fait de leurs compétences à produire, collecter et analyser des données globales, les scientifiques disposent d’un capital de légitimité validé par la publication dans des revues réputées. Aussi, l’ampleur et le caractère novateur d’une étude favorisent-ils sa diffusion ; ce qui contribue, en retour, à ériger son ou ses auteur(s) en un type spécifique de lanceur(s) d’alertes. Par ailleurs, leur composante prescriptive renforce la politisation de communautés épistémiques déjà très sollicitées dans le cadre de la gouvernance mondiale de l’environnement. Cette dimension apparaît d’autant plus importante que la récente montée en puissance des arguments climato-sceptiques et les menaces pesant sur les database élaborées aux États-Unis font craindre aux scientifiques internationaux un ralentissement significatif de la recherche sur le changement climatique.

Références

Estrada Alejandro et al., « Impending Extinction Crisis of the World’s Primates: Why Primates Matter » , Science Advances, 3, 18 jan. 2017.
Garric Audrey, « Les singes pourraient disparaître d’ici vingt-cinq à cinquante ans », Le Monde, 18 jan. 2017.
Gunnell Yanni, Écologie et société, Paris, Armand Colin, 2009.
Pestre Dominique (Éd.), Histoire des sciences et des savoirs, tome 3. Le siècle des technosciences, Paris, Seuil, 2015.