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PAC 169 – L’unilatéralisme des États-Unis en matière climatique Les insuffisances de la COP23

Par Lea Sharkey
Passage au crible n° 169

Source: Pixabay

À la fois technique et politique, la COP23 (Conférence des Parties), qui s’est tenue à Bonn du 6 au 17 novembre 2017, était dédiée aux premières négociations sur les applications de l’Accord de Paris sur le climat. Or, le 1er juin 2017, Donald Trump a annoncé sa décision de retirer les États-Unis de ce traité historique.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique
Entré en vigueur le 4 novembre 2016, le traité de Paris engage ses signataires à maintenir le réchauffement planétaire dû aux activités humaines « nettement en deçà » de 2°C d’ici à 2100 (par rapport à la température de l’ère préindustrielle). À Marrakech, lors de la COP22, les parties se sont donné pour objectif de mettre en œuvre les règlements adoptés – « the Paris Ru-lebook » – d’ici fin 2018. Les États parties sont donc invités à traduire leurs engagements de 2015 en programmes énergétiques et économiques nationaux. Ils doivent en outre forger les outils destinés à assurer la concrétisation de leurs plans.
En marge de la COP23, le bilan mondial du Global Carbon Project publié le lundi 13 novembre indique une nouvelle augmentation des rejets globaux de dioxyde de carbone. Cette situation est due à l’embellie de la croissance chinoise (+6,7%) qui fait de la RPC (République Populaire de Chine), le premier émetteur de CO2 depuis 2007. Le Climatescope, le rapport d’évaluation des investissements par pays publié en novembre 2017 par Bloomberg New Energy Finance, note par ailleurs que seuls quatorze des soixante-et-onze États étudiés, ont su élaborer des stratégies concrètes de réduction de leurs émissions.
Au cœur de ces engagements se trouve le financement de 100 milliards de dollars qui doit être consacré aux pays en développement. Sur ce point, le retrait annoncé par Donald Trump représente tout à la fois un revers politique et économique. En effet, Washington ne versera plus de contribution à la CNUCC (convention cadre des Nations unies sur le changement climatique), ni au GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Enfin, ce désengagement américain affaiblit une dynamique mondiale et un consensus qui avaient été déjà difficiles à obtenir en 2015. Rappelons que le texte adopté lors de la COP21 retenait le principe de contributions volontaires non assorties de sanctions, engageant au total cent-quatre-vingt-quinze pays. Bien que les déclarations sur « l’irréversibilité de l’Accord de Paris » se soient multipliées – pour reprendre l’expression de Ségolène Royal, ou du Président de la COP22 Salahedine Mezzouar – il est certain que l’absence de leadership américain produit aujourd’hui des effets sur l’implication et le positionnement des autres signataires, notamment la Chine.
S’agissant de ce pays, il adopte habituellement une position pivot durant les négocia-tions climatiques qui le conduit à se tenir à égale distance des pays développés et des pays en développement. Avec un PIB (Produit Intérieur Brut) par habitant inférieur à la moyenne mondiale, Pékin affirme son droit à la croissance économique et se pose ainsi en porte-parole du Groupe des 77. Mais dans le même temps, la RPC souligne qu’avec 10,4 milliards de tonnes de CO2 rejetés par an, le cumul historique de ses émissions ne dépassera pas avant longtemps celui des États-Unis.

Cadrage théorique
1. Le leadership ambigu de la Chine sur la question climatique. Si un axe sino-européen semble bel et bien désormais se dessiner, la politique climatique de la Chine obéit cependant à des impératifs énergétiques et économiques nationaux, ce qui ne laisse pas de révéler des contradictions internes.

2. L’affaiblissement du « consensus de Paris ». S’appuyant sur les engagements librement déterminés des parties, le consensus fragile obtenu en 2015 se retrouve affaibli par le retrait de la première puissance mondiale ; sans compter que les signataires de l’accord de Paris développent des visions divergentes quant à son application concrète.

Analyse
Depuis une décennie, la Chine cherche à s’imposer en leader mondial des énergies renouvelables. Premier investisseur dans le domaine, son objectif vise à combler son retard technologique et à maîtriser sa dépendance envers les ressources provenant de l’étranger. Sous la pres-sion de besoins grandissants, ce pays de près de 1,4 milliard d’habitants requiert un approvisionnement extérieur en charbon, pétrole et gaz. Mais la RPC appréhende désormais la pollution comme un problème de santé publique à l’origine – selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) – de 1,6 million de morts par an. Dans cette logique, elle a adopté en juin 2007 un programme portant sur le climat, arrêté dans le cadre du onzième plan quinquennal, à la suite de la publication du Rapport d’évaluation national sur le changement climatique. Sa capitale se tourne depuis massivement vers les énergies renouvelables et porte un intérêt considérable aux mécanismes de transferts de technologies ainsi qu’aux dispositifs de soutien financier proposés par les pays industrialisés. Pékin élabore une stratégie de coopération internationale fondée sur deux concepts : « go global » et « bringing in » (Alexeeva et Roche, 2014, p.28). Cette politique industrielle vise à accroître l’innovation au sein de ses entreprises énergétiques et à développer leur auto-nomie en termes d’équipements de pointe. L’implication croissante de la puissance chinoise lors des conférences climatiques s’explique par la volonté de maîtriser sa réputation et son image à l’international. Autant d’éléments symboliques qui lui apparaissent indispensables pour nouer des collaborations scientifiques et commerciales avec des partenaires diversifiés. Mais ce volontarisme vertueux coexiste néanmoins avec le maintien d’une forte politique extractive. Autrement dit, la Chine se montre loin de renoncer aux réserves de charbon (les plus importantes de la planète), son mix énergétique restant tributaire à 80% de cette matière première.
En marge des négociations officielles, le Président des États-Unis Donald Trump a claire-ment mis fin à toute politique de réduction des émissions en défendant ouvertement les énergies fossiles. En fait, sa déclaration s’adresse davantage aux États fédérés, villes et entreprises américaines favorables à l’Accord de Paris qu’aux autres signataires du traité. Sa prise de position demeure toutefois fâcheuse dans la mesure où de nombreux pays membres sont eux-mêmes peu enclins à modifier leurs stratégies énergétiques pour qu’elles deviennent plus vertes. Autant dire que l’infléchissement de la politique américaine se répercute sur les modalités d’application du traité ; Washington remettant à présent en cause le fondement même du droit des gens, à savoir la règle pacta sunt servanda. Ceci s’avère d’autant plus préoccupant que la COP23 a achoppé jusqu’à ce jour sur les questions de calcul du prix du carbone et de définition d’un mécanisme de contrôle global qui offrirait des garanties de transparence. À titre d’exemple, si une vingtaine de pays, dont la France et le Canada, se sont engagés à sortir du charbon, il n’en est rien en revanche pour l’Allemagne dont 40% de l’électricité provient encore de ce combustible.
Organisé à Paris, le One Planet Summit du 12 décembre devait précisément répondre à la question de l’accès aux financements privés et publics en faveur d’une économie bas carbone. À cette occasion, la Banque Mondiale et de grands investisseurs privés ont annoncé ne plus vouloir soutenir l’exploration et l’exploitation des ressources polluantes. Ces institutions s’engagent au contraire à privilégier les projets des entreprises vertueuses. Pourtant, l’appui des pays industrialisés reste insuffisant lorsqu’il s’agit de soutenir les initiatives visant une reconversion énergétique. Pour l’heure, il n’atteint pas les 100 milliards prévus dans le traité de 2015.
L’identification d’outils communs se trouve donc reconduite aux prochaines conférences onusiennes, voire sine die. Or, ce travail est ralenti par la multiplicité des échelles, la fin d’un consensus global et les arrangements établis par les parties entre stratégie énergétique, impératif économique et diplomatie climatique. Parallèlement, le secteur privé et les acteurs subnationaux adoptent des engagements thématiques et régionalisés au caractère incrémental. On note donc ainsi que la complexité du problème climatique et énergétique requiert un double mouvement qui articulerait des négociations mettant en interaction États et acteurs transnationaux.

Références
Benberrah Moustafa, « L’entrisme de la Chine dans les sommets internationaux. La diplomatie chinoise au forum de l’APEC, 8-10 novembre 2017 », Chaos international, disponible sur : http://www.chaos-international.org/pac-165-lentrisme-de-chine-sommets-internationaux/
Alexeeva Olga V., Roche Yann, « La Chine en transition énergétique : Un virage vers les énergies renouvelables? », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], 14 (3), Déc. 2014, consulté le 16 décembre 2017, disponible sur : http://journals.openedition.org/vertigo/15540.

Le Comte Armelle, « One Planet Summit : où en est-on des financements internationaux pour le climat ? », Le Monde, 12 décembre 2017, disponible sur : En savoir plus sur http://ww.lemonde.fr/climat/live/2017/12/12/one-planet-summit-ou-en-est-on-des-financements-internationaux-pour-le-climat_5228341_1652612.html#LDzUyXW3V3jgrxYC.99

Romano Giulia C., « La Chine face au changement climatique : quelle(s) politique(s) ? », Écologie & Politique, (47), 2013, pp. 77-87, Presses de Sciences Po, disponible sur : https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique1-2013-2-p-77.htm

Zimmermann Maxime, « La Chine dans le régime climatique : nouveau poids lourd de la scène internationale ? », Eurosorbonne, 28 Août 2017, disponible sur : http://www.eurosorbonne.eu/?p=3733