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PAC 154 – L’opposition syrienne De l’incohérence au désastre

Par Akram Kachee
Passage au crible n°154

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SyrieSource: Wikimedia

Le 5 décembre 2016, le Conseil de sécurité des Nations unies s’est réuni pour traiter de la Syrie et examiner plus particulièrement le cas d’Alep. La Chine et la Fédération de Russie se sont prononcées négativement sur un projet de résolution qui visait notamment à mettre fin à toutes les attaques menées dans la ville d’Alep pour une période renouvelable de sept jours.
Depuis la tenue de cette session, des discussions semblent se mettre en place en dehors des Nations unies. Cependant, ni le régime syrien, ni la Coalition, principal organe d’opposition politique, ne prennent part à ces négociations.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique
Avant les premières manifestations de mars 2011, il existait des groupes composés de plusieurs partis politiques. Certains d’entre eux se retrouvaient par ailleurs dans plusieurs blocs politiques. Au nombre de ces derniers, on notait : le Bloc National Démocrate, la Déclaration de Damas, les Frères Musulmans, la Gauche Marxiste, ainsi que plusieurs partis kurdes qui n’avaient pas rejoint la Déclaration de Damas contrairement à d’autres partis kurdes.
Entre la fin du printemps et le début de l’été 2011, une nouvelle revendication se fait jour au sein de cet ensemble. Les manifestants réclament une forme d’organisation politique propre à refléter leurs actions et leurs idées, dans l’unité. Au regard de la situation, le CCN (Comité de Coordination Nationale) est créé le 30 juin 2011 à Halboun, située dans la banlieue de Damas. Egalement dénommée « l’opposition de l’intérieur », cette instance comprend quinze organisations partisanes et un très grand nombre de personnalités indépendantes . Majoritairement de tendance gauche-laïque, celle-ci compte aussi quelques islamistes modérés. Le CCN formule à l’époque un programme qui s’articule autour de « trois non » : non à la violence, non au communautarisme, non à l’intervention étrangère.
Parallèlement, plusieurs tentatives émanant de Syriens en exil visent à créer une vitrine de l’opposition pour mieux faire connaître son combat. Après plusieurs conférences internationales, le bureau des Frères Musulmans, situé en Turquie, centralise finalement les initiatives en vue de créer un conseil national. Puis, d’autres opposants syriens en exil viennent les rejoindre, en particulier le Parti du peuple, une branche du Parti communiste syrien. C’est aussi à ce moment-là que les chancelleries occidentales recherchent un interlocuteur qui pourrait bénéficier d’un minimum de légitimité aux yeux des manifestants. Alors que les Occidentaux pensent que l’Islam politique pourrait jouer un rôle dans le processus de transition, Nicolas Sarkozy propose que les étapes suivies dans l’opération libyenne servent de modèle dans le règlement du dossier syrien.
Un CNS (Conseil National Syrien) est créé le 16 septembre 2011 à Istanbul sous l’impulsion de la Turquie et du Qatar, deux pays qui soutiennent les Frères Musulmans. Bien que cette instance ait été très bien accueillie par une bonne part de l’opinion syrienne, des voix s’élèvent pour dénoncer un « copier-coller » qui assimilerait cette organisation au Conseil National de Transition Libyen.
Le premier président du CNS, Burhan Ghalioun, se retrouve confronté à la lourde tâche d’apporter un soutien au mouvement et d’en définir les grandes orientations. Devant la complexité de cette réalité politique, il peine à communiquer de manière cohérente et lance des appels contradictoires (tout à la fois pour et contre une intervention étrangère). Ainsi, dans le texte fondateur du CNS, B. Ghalioun précise par exemple que « le CNS refuse toute forme d’ingérence et d’intervention qui porterait atteinte à la souveraineté nationale syrienne ». Mais pourtant, le document stipule plus loin que « pour répondre à l’appel de la révolution, le CNS demande à toutes les instances internationales de prendre leur responsabilité de protection du peuple syrien». Entre temps, les puissances occidentales expriment clairement leur soutien au CNS et le reconnaissent comme le seul représentant légitime du peuple syrien.
Au printemps 2012, afin de laisser au conflit une chance d’être résolu grâce à la « maison arabe », la Ligue arabe propose de former un cadre de conciliation entre le Comité de Coordination National représentant le mouvement de l’intérieur et le Conseil National Syrien en exil. Sous cette impulsion, une négociation a lieu qui permet un rapprochement des points de vue et la signature du pacte du Caire, le 3 juillet 2012. Très complet sur les modalités de transition, ce texte a servi de base aux conférences de Genève 1 et 2. Mais le même jour, Burhan Ghalioun a dénoncé sa propre signature, prétendant n’avoir signé qu’une version préliminaire. En outre, il s’est dit victime d’annonces officielles qui auraient été formulées sans son accord.
Face aux échecs répétés et à la perte de légitimité du CNS, Hillary Clinton propose alors d’élargir l’opposition à une large coalition. Mais viennent s’y joindre des personnalités de la société civile non représentatives du mouvement syrien. Créée en juillet 2013, cette coalition est présidée par Ahmad Jarba, proche de l’Arabie Saoudite. Elle intègre aussi quelques figures de l’opposition historique au régime, comme Michel Kilo.
Par la suite, la militarisation et la fragmentation des factions armées a dominé sur le terrain, accentuant le manque de coordination entre l’opposition et les forces opérationnelles en présence. De plus, treize groupes armés, dont Jabhat al-Nosra (filiale d’Al-Qaida), ont refusé de reconnaître la Coalition car il s’agit, à leurs yeux, d’une émanation occidentale et d’un organe contre-révolutionnaire.
Devant ces difficultés, une réunion a été organisée à Riyad en 2015 ; l’objectif étant d’intégrer des représentants des groupes armés à la Coalition. En dernière instance, cette rencontre a conduit à la création du Haut Commissariat aux Négociations.

Cadrage théorique
1. La Coalition et le régime, un fonctionnement en miroir. En fait, l’ensemble des organes de l’opposition syrienne reproduit la culture et certains modes de fonctionnement du régime honni. Les opposants n’ayant pas réussi à mener un travail d’autocritique, ils ont en effet échoué à faire œuvre de pédagogie pour diffuser les valeurs démocratiques au sein de la société syrienne. Un échec d’autant plus remarquable qu’ils n’ont pas davantage su appliquer à leur propre fonctionnement ces principes démocratiques qu’ils appelaient de leurs vœux pour la Syrie. Finalement, c’est le rejet de l’autre qui a fondé leur projet politique.
2. Conseil National et Coalition, une contre-révolution en marche. Dès le départ, le rôle des Frères Musulmans s’est avéré considérable. Aujourd’hui encore, il constitue le noyau dur de la Coalition. C’est particulièrement le cas de sa branche al-Tali’a qui représente un courant favorable à la lutte armée. Cet organe, qui fonde sa légitimité sur les événements des années quatre-vingt, prétend incarner à lui seul le statut de victime de la répression qui fut menée à cette époque. Ses membres participent désormais à la Coalition en créant de multiples groupes satellites destinés à manipuler les débats à leur propre profit, élargissant notamment leurs cercles d’influence via un clientélisme actif.

Analyse
Dès l’émergence des premiers organes d’opposition en 2011, une ligne de fracture s’est creusée entre le CCN agissant à l’intérieur de la Syrie et le CNS en exil. Or, cette division a affecté la suite des événements. En effet, les positions sont devenues de plus en plus inconciliables entre ces deux blocs. D’une part une opposition de l’intérieur, de gauche, laïque, défavorable à une intervention occidentale et majoritairement pacifique (CCN). D’autre part, un mouvement qui représente l’opposition en exil (CNS). Marqué plutôt à droite – malgré le soutien d’une fraction communiste, sous influence islamiste – il œuvre en faveur d’une intervention extérieure et encourage la lutte armée. Ces deux lignes s’opposent également sur les modalités d’une transition éventuelle. Pour l’opposition de l’intérieur, il paraissait inutile de réclamer la chute du régime. Elle a par conséquent défendu d’emblée le principe que des négociations, avec certains éléments du régime, pourraient permettre de préserver la population. Elle préconisait de s’orienter plutôt à moyen terme vers un changement en profondeur qui provoquerait vraisemblablement la chute d’Assad. A contrario, le Conseil National a rapidement demandé le départ définitif et sans conditions du président syrien. Aujourd’hui, le CNS se maintient toujours dans cette posture de refus total de tout dialogue avec les institutions existantes.
L’absence de courant laïc indépendant et démocratique accrédite l’idée suivant laquelle il n’y aurait de choix qu’entre le régime d’Assad et les djihadistes. Cette impasse contribue par ailleurs à dilapider le capital de sympathie que le soulèvement syrien avait tout d’abord accumulé.

Références
Bechara Azmi, Syria: A Path to Freedom from Suffering, al-Doha, Arab Center for Research and Policy Studies, 2013.
Rsas Muhammad, « La haine comme guide en politique », Al Akhbar, 29/04/2016