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PAC 100 – Des concessions réciproques pour une incertitude commune L’accord intérimaire sur le nucléaire iranien, du 24 novembre 2013

Par Josepha Laroche

Passage au crible n°100

Nucléaire iranienSource : Wikipedia

Après dix années d’échecs successifs, un accord intérimaire portant sur le nucléaire iranien a été signé à Genève, le 24 novembre 2013, entre l’Iran – en la personne de Mohammad Javad Zarif – et les représentants du groupe des 5+1, à savoir les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie) et l’Allemagne. Ce document prévoit une période de six mois renouvelable avant que ne s’engage une négociation définitive. Pour l’heure, les parties se sont entendues sur un ralentissement substantiel du programme nucléaire de l’Iran. Il est ainsi établi que son enrichissement d’uranium ne pourra excéder 5%, et ce, afin d’éloigner le spectre du nucléaire militaire. Quant au stock existant et déjà enrichi à 20% – proche du niveau militaire – il faudra qu’il soit neutralisé. Enfin, les nouvelles centrifugeuses prévues ne devront pas être mises en service. De même, il conviendra de stopper les travaux en cours, relatifs à un réacteur à eau lourde. En contrepartie de cette batterie d’obligations, l’Iran obtient une levée partielle des sanctions qui la frappaient jusque-là. Le pays va pouvoir par exemple accéder à des fonds auparavant inaccessibles, à hauteur de 4 milliards de dollars. Cependant, l’essentiel du dispositif d’embargo reste en place, en particulier les mesures concernant l’exportation du pétrole et les transferts financiers de l’Iran. Certes, cette convention constitue un premier pas vers un apaisement des tensions, mais elle reste entièrement réversible.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Le TNP (Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires) qui a été signé le 1er juillet 1968, est entré en vigueur le 5 mars 1970 après la ratification des États dépositaires (États-Unis d’Amérique, Royaume-Uni, URSS et de quarante autres signataires, dont l’Iran qui a signé et ratifié ce traité dès 1970. Il reposait sur la discrimination établie entre les EDAN (États dotés de l’arme nucléaire ayant fait exploser un engin nucléaire avant le 1er janvier 1967), et les ENDAN (États non dotés de l’arme nucléaire). Il a établi que les premiers (États-Unis, URSS, Royaume-Uni) s’engageaient en le signant à ne pas aider un autre pays à acquérir des armes nucléaires. Quant aux ENDAN, ils renonçaient à les fabriquer et à essayer de s’en procurer. En contrepartie, les EDAN (dit le « le club nucléaire ») leur garantissaient une facilité d’accès au nucléaire civil, sur une base non discriminatoire (articles IV et V). Autrement dit, ces dispositions toujours en vigueur, visaient principalement à réduire, voire à endiguer, la prolifération horizontale, c’est-à-dire, l’extension de l’armement nucléaire dans le monde.

Depuis, en vertu de l’article III du TNP, l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) a pour mission de contrôler l’usage pacifique des matières nucléaires par les ENDAN, parties. Pour ce faire, elle a signé des accords de garantie avec chacun d’eux afin qu’elle puisse vérifier le respect de leurs engagements. Un programme de renforcement des garanties de l’AIEA, dit « 93 + 2 », a été ensuite mis en place pour accroître l’étendue et la précision de ses contrôles. L’objectif étant de garantir une meilleure efficacité du régime de non-prolifération.

Toujours partie au TNP, l’Iran doit donc aujourd’hui se soumettre à toutes les exigences de vérification de cette instance. Or, depuis une dizaine d’années, elle soupçonne ce pays de se livrer à des opérations clandestines afin de se doter d’un armement nucléaire. Dès lors, les négociations se sont multipliées, bientôt suivies d’une cascade de sanctions auxquelles il s’agirait à présent de mettre fin.

Cadrage théorique

1. La portée civilisationnelle des sanctions. Éléments constitutifs du droit international public, elles appartiennent à l’arsenal répressif mis en œuvre par les États au cours de ces derniers siècles. Elles ont pour objet d’éviter les guerres, en condamnant à résipiscence tout acteur transgressif qui violerait les règles internationales. Ainsi, en opérant avec efficacité un cadrage diplomatique de la violence guerrière, les acteurs étatiques s’emploient-ils à civiliser leurs interventions.
2. Les limites dissuasives de la diplomatie coercitive. Plus indéterminée que la stratégie militaire, cette diplomatie coercitive demeure toutefois d’un maniement très délicat. Certes, elle vise à infléchir les négociations dans le sens requis, tout en évitant le coût humain et matériel d’un conflit classique. Mais elle implique nécessairement l’acceptation d’une zone d’incertitude, inhérente aux jeux d’interactions stratégiques des acteurs en présence. Or, cet espace laissé à l’aléa est dénoncé et refusé par Israël pour qui l’Iran instrumentaliserait simplement ce dispositif.

Analyse

En 2003, l’AIEA a annoncé que le site iranien de Natanz indiquait des taux d’uranium enrichi, supérieurs aux normes civiles. En conséquence, l’Agence a demandé à l’Iran de prouver qu’il ne développait pas une arme nucléaire. Depuis lors, un bras de fer de plus en plus dur s’est engagé entre Téhéran et les États soucieux de faire respecter le TNP. Faute d’avancées, l’AIEA a transmis en 2006 le dossier du nucléaire iranien au Conseil de sécurité de l’ONU. Ce dernier a sanctionné l’Iran en votant la résolution 1737 qui interdit la vente de tout matériel ou technologie pouvant contribuer aux activités de ce pays dans les domaines nucléaires et balistiques. Ce texte lui a en outre imposé un ultimatum. En 2007, le Conseil a adopté de nouvelles mesures économiques (résolution 1747) visant à frapper le programme d’enrichissement d’uranium de Natanz. Quant aux États-Unis, ils ont pris des dispositions répressives, dirigées contre les 3 principales banques iraniennes. Enfin, en 2008, de nouvelles restrictions économiques et commerciales ont été adoptées par l’ONU. A partir de 2009, l’AIEA a multiplié les rapports alarmistes, tandis que l’Iran inaugurait à Ispahan la première usine de fabrication de combustible nucléaire, annonçant même avoir installé 7000 centrifugeuses. Le pays reconnaît par ailleurs disposer d’une usine d’enrichissement d’uranium près de Qom. En 2010, tandis qu’une 4e vague coercitive est votée, l’AIEA évoque « de sérieuses inquiétudes concernant une possible dimension militaire du programme nucléaire », ce qui conduit les Etats-Unis et l’Union européenne à asphyxier d’autant le secteur bancaire de l’Iran. Les décisions prises à son encontre concernent le secteur énergétique, les avoirs à l’étranger, l’automobile, les transports et le commerce en général. En outre, les Occidentaux interdisent à plus de 3000 Iraniens de voyager à l’étranger. Pour faire respecter le TNP, tout en évitant une conflagration qui pourrait embraser toute la région, cet embargo a donc édifié, au fil du temps, un carcan économique qui obère lourdement le développement du pays, sans pour autant régler le contentieux. Dans ces conditions, beaucoup d’observateurs considèrent que la signature du 24 novembre 2013 contribue à apaiser les tensions et renforcer la sécurité mondiale.

Pour Israël, en revanche « c’est une erreur historique » déclare son Premier ministre, Benyamin Nétanyahou. Cette convention ne serait pas crédible et correspondrait simplement à une habile politique de procrastination aux termes de laquelle l’Iran continuerait de procéder plus ou moins clandestinement à l’enrichissement de l’uranium à des fins militaires. En conséquence, les responsables israéliens fustigent l’assouplissement des sanctions, se réservant toujours le droit « de se défendre […] contre toute menace ». Jérusalem qui n’est pas lié par cette concession, entend maintenir ouverte l’option des frappes militaires. S’il s’avère caduc dans l’immédiat, ce scénario pourrait toutefois être de nouveau à l’ordre du jour dans six mois. En effet, si un accord définitif n’était pas conclu, le principe d’incertitude réunirait alors toutes les parties prenantes de ce dossier attentatoire à la paix du monde.

Références

Davis Jacquelyn K., Pfaltzgraff Robert L., Anticipating a Nuclear Iran: Challenges for U.S. Security, New York, Columbia University Press, 2013.
Elias Norbert, La Civilisation des mœurs, [1939], trad., Paris, Calmann-Lévy, 1973.
Elias Norbert, La Dynamique de l’Occident, trad., Paris, 1975.
Laroche Josepha, La Brutalisation du monde, du retrait des États à la décivilisation, Montréal, Liber, 2012.
Lindemann Thomas, Sauver la face, sauver la paix, sociologie constructiviste des crises internationales, Paris, L’Harmattan, 2010. Coll. Chaos International.
Tertrais Bruno, Iran : la prochaine guerre, Paris, Le Cherche-midi, 2012.