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PAC 155 – La diplomatie climatique des métropoles mondiales Le sommet des maires pour le climat, Mexico

Par Lea Sharkey
Passage au crible n° 155

climate changeSource: Pixabay

Réunis à Mexico du 30 novembre au 2 décembre, les maires de 86 métropoles mondiales ont développé leurs recommandations dans un rapport intitulé Deadline 2020. Ce dernier vise à maintenir le réchauffement planétaire en-deçà des 2°C. Ces gouvernements, investis d’une nouvelle légitimité au sein du régime climatique, veulent pallier l’insuffisance des engagements des États.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique
Le 4 novembre 2016, l’Accord de Paris sur le climat est entré en vigueur. Il a été ratifié par un minimum de 55% des participants représentant plus de 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, dont la Chine et les États-Unis. Cet accord marque un succès diplomatique et constitue un tour-nant normatif dans la mesure où il fixe aux pays développés et en développement des objectifs globaux de réduction de GES, tout en réaffirmant le principe de responsabilité commune et différenciée. Cependant, il contourne les conflits liés à la répartition de l’effort, en laissant le soin aux États de concrétiser ces engagements. Dans son préambule, il reconnaît par ailleurs le rôle clé des autorités locales et régionales quant à la mise en œuvre de ce traité.
Au sein de la gouvernance mondiale du climat, le réseau de villes C40 Cities Climate Leadership Group et des associations internationales comme CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis) se sont mobilisés face au mitigation gap, à savoir l’écart entre les engagements des États et les objectifs de réduction. Leur programme consiste à 1) mobiliser des engagements supplémentaires émanant des acteurs étatiques, 2) établir le volet opérationnel de l’Accord de Paris. Ces parties prenantes constatent qu’un tiers des émissions dépendent des villes (transports, infrastructures, etc.). Elles attestent également subir d’ores et déjà les conséquences du réchauffement planétaire (vulnérabilité des villes côtières, vagues de chaleur, migrations climatiques).
Face à ces risques, ces réseaux se présentent comme des plateformes collaboratives. Elles font office de 1) stimulateurs de la gouvernance locale, 2) réserves de bonnes pratiques transférables et 3) sources de financements. La zone des acteurs non-étatiques pour l’action climatique (NAZCA), inaugurée au Pérou, lors de la COP20 (Conference of the Parties), tient ainsi à regrouper et à développer les mesures d’atténuation relatives aux acteurs non-étatiques. Le C40 rapporte quant à lui plus de 10 000 mesures adoptées par ses villes membres pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Enfin, les maires réunis à Mexico entendent spécifier les programmes d’action à réaliser ville par ville au plus tard pour 2020. En effet, le rapport 2020 souligne que l’essentiel de l’effort climatique devra être opéré avant cette date butoir afin que le réchauffement de la planète soit maintenu en deçà de 2°C d’ici 2100.

Cadrage théorique
1. La gouvernance polycentrique du climat. Le prix Nobel Elinor Ostrom propose de considérer la résolution de l’enjeu climatique à de multiples échelles, afin d’éviter la lenteur et les conflits dus à la recherche d’une solution globale. Comme le signale Thomas Hale, l’Accord de Paris dépasse la simple reconnaissance des initiatives provenant des acteurs non-étatiques. Au contraire, il renforce leur légitimité en les plaçant au cœur du régime climatique. En affirmant compléter et renforcer les engagements étatiques, les réseaux de coopération entre gouvernements locaux bénéficient ainsi d’une légitimité accrue sur le plan international.
2. La représentativité des réseaux transnationaux. Allant de pair avec leur nouvelle légitimité, les métropoles mondiales entendent à l’évidence renforcer et concrétiser les ambitions des États. Mais elles se retrouvent toutefois confrontées aux mêmes problématiques. En effet, les questions demeurent qu’il s’agisse de représentativité des réseaux, de quantification des contributions, de transparence et de financement ou bien encore de l’incertitude liée aux engagements. Or, ces défis constituent en dernière instance autant de points d’achoppement hérités de l’Accord de Paris.

Analyse
Ce traité a formalisé l’implication des acteurs infraétatiques au sein de la gouvernance du climat. Il traduit une lame de fond issue d’initiatives transnationales qui s’est construite sur plusieurs décennies et a été institutionnalisée dans le document final. En effet, le texte attribue un mandat à la plate-forme NAZCA et à l’Agenda de l’Action. Par ailleurs, il établit le principe d’un rendez-vous annuel invitant les acteurs transnationaux à rendre compte de leurs avancées et engagements climatiques. L’Alliance des Petits États Insulaires (AOSIS), soutenue par la présidence française, a notamment insisté pour que les acteurs transnationaux jouent véritablement le rôle de catalyseur des actions gouvernementales. En effet, l’AOSIS ou encore le Climate Vulnerable Forum (Alliance des 20 pays les plus vulnérables au changement climatique) souhaitent voir s’accélérer le rythme des initiatives climatiques avant 2020, date à laquelle les engagements des États devront être effectifs.
Avec le rapport Deadline 2020, la gouvernance transnationale des villes s’engage clairement à répondre favorablement à l’urgence climatique. Elle se situe de la sorte aux antipodes d’une vision pragmatique qui privilégierait un ensemble d’échéances non-contraignantes. Cependant, la volonté de traduire l’Accord de Paris en intentions concrètes de réductions d’émissions et de fragmenter l’objectif global en une multitude de politiques climatiques sur le plan local, se heurte à plusieurs difficultés. Ces dernières sont liées à : 1) la répartition géographique des membres des réseaux, 2) la définition de périmètres de référence comparables 3) la mise en place de systèmes de contrôle et 4) le financement et l’articulation avec les cadres normatifs nationaux et internationaux. La participation et l’attribution des rôles clés au sein des réseaux transnationaux semblent en effet refléter avant tout le clivage Nord-Sud. La plupart des villes qui assument un rôle d’impulsion se situent ainsi principalement en Europe ou aux États-Unis. En revanche, les initiatives climatiques restent prioritairement réparties dans les pays en développement.
Ce phénomène multi-échelles qui se donne à voir dans la gouvernance transnationale du climat pose aussi la question des méthodes de quantification et de contrôle des engagements. Identifier les contributions de gouvernements infraétatiques fait craindre la redondance des problématiques normatives liées à la résolution d’accords globaux. Il s’agit en effet de déterminer, à l’échelle infranationale, les responsabilités de chaque acteur. Notons sur ce point que le rapport Deadline 2020 propose, parmi ses recommandations, de distinguer les villes déjà industrialisées qui doivent, à ce titre, faire immédiatement chuter la courbe de leurs émissions, et les villes en développement qui peuvent maintenir leur modèle de développement pendant encore une décennie.
Par ailleurs, peu de réseaux exigent de leurs membres un objectif clair de réductions d’émissions. Ils communiquent plutôt simplement autour d’engagements qualitatifs et d’initiatives remarquables mais isolées. Les villes-membres utilisent principalement ces plateformes comme outils de mise en relation, de communication et d’échanges de bonnes pratiques. Lorsqu’elles existent, les ambitions climatiques locales sont calculées à partir de dates de références variables, à l’instar des contributions nationales librement déterminées, biaisant également toute comparaison. Contre toute attente, les premières analyses montrent par conséquent que les ambitions agrégées des acteurs infraétatiques ne dépassent pas celles initialement proposées par les États. Enfin, la mise en place de garanties de type MRV – suivi, notification et vérification – assurant la transparence des initiatives, un des piliers de l’architecture de l’Accord de Paris, apparaît encore parcellaire.
La mobilisation des réseaux transnationaux sur la question climatique dépend donc d’un système fondé sur la confiance. Elle s’appuie en outre sur un mécanisme non contraignant de pressions exercées par les pairs. Dès lors, la gouvernance polycentrique du climat se traduit par de multiples cadres de coopération permettant l’accès aux bonnes pratiques, aux solutions de développement décarbonées et à une diversification des sources de financement, tels que la Plateforme NDC Partnerships ou le Fonds Vert pour le Climat. Cependant, les acteurs infraétatiques ne pourront déployer leur potentiel climatique que s’ils réussissent à infléchir substantiellement la politique des États.

Références

Bansard Jennifer.S., Pattberg Philipp H., Widerberg, Oscar, « Cities to the Rescue? Assessing the Performance of Transnational Municipal Networks in Global Climate Governance », International Environmental Agreements, April 2016, pp 1-18, .
Hale Thomas, « ‘All Hands on Deck’: The Paris Agreement and Nonstate Climate Action », Global Environmental Politics,16 (3), July 2016, pp12-22.
Aykut Stefan C., Dahan Amy, Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2014.