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PAC 164 – L’offensive académique de la Chine Les étudiants africains, ambassadeurs de la diplomatie chinoise

Source: Pixabay

Par Moustafa Benberrah
Passage au crible n° 164

Près de 50 000 Africains font cette année leur rentrée universitaire dans l’Empire du milieu, vingt fois plus qu’il y a dix ans. Selon les chiffres du ministère chinois de l’Éducation, le nombre d’étudiants étrangers en Chine augmente de plus de 35% par an et un étudiant étranger sur dix vient du continent africain. Ce pays se place donc juste derrière la France comme destination préférée de cette catégorie et occupe même la première place concernant les spécialités techniques.
Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique
La Chine a octroyé les premières bourses aux Africains dès les années soixante dans le sillage de la conférence de Bandung. Après son ouverture en 1978, le nombre des étudiants partis poursuivre leurs études dans ce pays augmente progressivement. Cette tendance s’est ensuite accélèrée dès le début du vingt-et-unième siècle. En effet, elle a accompagné le développement considérable de la présence chinoise sur le continent depuis les années deux mille.

Dans le cadre de la politique d’internationalisation de ses entreprises (zouchuqu shengce, going out policy), Pékin renforce sa politique africaine afin d’accroître son pouvoir d’attraction et mobilise pour ce faire plusieurs secteurs (académique, culturel, médiatique, économique). Deux raisons rendent compte de cette évolution. D’une part, les besoins chinois en ressources naturelles nécessaires à la croissance intérieure imposent l’amélioration des relations avec les pays producteurs de matières premières dans un monde pacifié. De plus, les dirigeants chinois veulent contrer l’image négative de leur pays en Afrique relayée à l’étranger. Dans ce contexte, on comprend que l’éducation représente un outil privilégié.

En octobre 2007, le président chinois Hu Jintao a annoncé vouloir doubler le nombre de ressortissants africains dans les universités chinoises. Une politique fondée sur une distribution généreuse de bourses a alors été mise en place. Un financement de 400 euros par mois, l’attribution d’un logement gratuit et la présentation de cours en anglais et en chinois pendant un ou deux ans ont été proposés à cette élite.
En dix ans, le nombre de bourses accordées a ainsi été multiplié par plus de 300. En 2005, la RPC (République populaire de Chine) comptait 2 757 étudiants africains. Cette année, on en recense en revanche près de 50 000. En outre, lors du Focac (Forum de coopération sino-africaine) de 2015, Pékin s’est engagée à fournir 30 000 bourses supplémentaires d’ici à 2018 et leur nombre devrait à l’avenir atteindre plus de 80 000.
Notons toutefois que cette stratégie demeure élitiste dans la mesure où elle concerne principalement les fonctionnaires. Le programme développé par le Mofcom (le ministère chinois du Commerce) lancé depuis deux ans, est réservé en priorité aux employés des secteurs publics africains, ce qui renvoie à environ dix mille personnes.

Cadrage théorique
1. L’entretien de relais d’influence prestigieux. En considérant l’éducation comme l’un des fondements de l’agenda du Forum économique de coopération Chine-Afrique, Pékin aspire à transmettre une série de normes, idées, et valeurs aux élites africaines. Le recours à cette puissance normative vise à la promotion du modèle chinois.
2. La construction d’une attractivité culturelle. Joseph Nye considère que le soft power chinois se rapproche de celui mis en œuvre par les États-Unis. Rappelons qu’il l’a défini comme « la capacité d’un État d’obtenir ce qu’il veut par son attraction plutôt que par la coercition ». Cette vision s’inscrit dans le cadre d’une ambition, celle de la constitution d’une puissance globale, qui serait donc à la fois politique, économique, militaire et culturelle.

Analyse
Le renforcement des relations sino-africaines s’inscrit dans un contexte global de bouleversement des équilibres mondiaux induit par l’essor des BRICS. En effet, la République populaire de Chine veut construire une image institutionnelle fondée sur le développement mutuel, la non-ingérence, l’absence de conditionnalité et le transfert de technologie. Ainsi, met-elle en avant son statut de pays émergent afin de susciter un sentiment de solidarité Sud-Sud.
En 2007, le discours du président Hu Jintao illustre bien cette tendance. En effet, il utilise pour la première fois le concept de « soft power » (软实力, ruan shili) et affirme la nécessité de promouvoir la culture chinoise sur le plan international. Il insiste alors sur les notions de « développement pacifique » (和平发展, heping fazhan) et celle du « monde harmonieux » (和谐世界, hexie shijie) reposant sur l’idée que son pays ne représente pas une menace pour le monde. Dans la continuité de cette doctrine, le comité central du PCC (Parti communiste chinois) approuve en octobre 2010 le plan quinquennal 2011-2015 dont le chapitre 44 entend promouvoir l’exportation de produits culturels et les initiatives des médias chinois à l’étranger. L’objectif affiché visant à « renforcer la compétitivité à l’international et le pouvoir d’influence de la culture chinoise, et améliorer le soft power du pays ».
Parmi les outils diplomatiques mobilisés pour y parvenir, le Focac  (Forum de coopération sino-africaine) occupe une place privilégiée. Créé en octobre 2000 à l’initiative de Pékin, il est présenté comme un établissement « juste et équilibré » devant s’inscrire dans un nouvel ordre international. Réunissant aujourd’hui quarante-neuf pays africains, il met l’accent sur la promotion des activités chinoises sur le continent, notamment à travers la multiplication des contacts directs avec l’Empire du milieu.
À cet égard, la Chine a signé plus de soixante-cinq accords culturels avec ces nations et adopté 150 plans de mise en œuvre. En outre, elle a mis en place l’un des quatre plus grands programmes de formation au monde à destination de l’Afrique, qu’ils aient été développés en Chine ou bien localement. Dans le premier cas, le plan est exécuté par le ministère de l’Éducation au travers de cours donnés dans les universités chinoises avec pour objectif d’aider les participants africains à comprendre l’éducation, la politique, l’économie, l’histoire et la culture chinoises. Soit, il prend la forme d’enseignements techniques développés par le ministère du commerce en lien avec les ministères sectoriels. Dans le domaine de la coopération éducative, dix-neuf facultés chinoises ont établi des collaborations avec vingt-neuf homologues africains dans vingt-trois pays dès 2003. La RPC soutient également l’élaboration de projets de recherche scientifique sino-africains et finance la construction de laboratoires. Enfin, elle accueille des post-doctorants venus d’Afrique.
C’est dire combien les établissements d’études supérieures jouent un rôle central. Citons à titre d’exemple l’université de Tsinghua, symbole du succès de cette « diplomatie douce ». Ces institutions destinées à former les futures élites africaines aspirent à former des ambassadeurs itinérants et des interlocuteurs privilégiés. Une telle opération permettrait de contrer la vision négative qui s’attache trop souvent à la Chine et qui est relayée par certains médias occidentaux.
Cependant, cette politique culturelle apparaît encore limitée. En effet, l’anglais reste la langue la plus parlée en Afrique et les échanges d’étudiants demeurent pour l’heure moins importants qu’avec l’Europe. En outre, il existe régulièrement des accrochages entre autochtones et Chinois. Évoquons ceux de 1988 à Nanjing à la suite d’une rumeur sur le meurtre d’un étudiant chinois qui aurait été perpétré par des Africains. Mentionnons aussi plusieurs incidents qualifiés de racistes comme celui d’une exposition récente organisée par un musée à Hubei. Intitulée « voici l’Afrique », il comparait les Africains à des animaux.
Ces quelques exemples montrent que la compréhension culturelle constitue un chantier en construction et que l’offensive diplomatique de la Chine ne fait que débuter.

Références
Bénazéraf David, « Soft Power chinois en Afrique Renforcer les intérêts de la Chine au nom de l’amitié sino-africaine », IFRI, septembre 2014, disponible sur :
https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_av71_softpowerchinoisenafrique_benazeraf.pdf
Benberrah Moustafa, « Le Soft Power chinois. L’offensive des médias chinois sur l’Afrique », Chaos international, disponible sur :
http://www.chaos-international.org/pac-163-soft-power-chinois/
https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_av71_softpowerchinoisenafrique_benazeraf.pdf
Le Belzic Sébastien, « La Chine, nouvelle destination phare des étudiants africains », Lemonde.fr, 18 septembre 2017, disponible sur : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/09/18/la-chine-nouvelle-destination-phare-des-etudiants-africains_5187402_3212.html
MEIRIK Karen, 2009, « La Chine, populaire auprès des étudiants africains », Consulté le 5 octobre 2017 sur : https://wazaonline.com/fr/archive/la-chine-populaire-aupres-des-etudiants-africains
Nye Joseph, Bound to Lead: The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990.