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PAC 147 – Une reconfiguration partielle de l’arène climatique Le 1er Sommet Climate Chance des acteurs non-étatiques, 26-28 septembre 2016 à Nantes

Par Simon Uzenat
Passage au crible n° 147

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climate_changeSource: © Chaos International

Le 5 octobre 2016, les conditions d’entrée en vigueur de l’Accord de Paris (ratification par 55 pays représentant 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre) ont été atteintes. Trente jours plus tard, soit le 4 novembre 2016, sa mise en œuvre deviendra donc effective. En conséquence, la 22e CdP (Conférence des Parties) à la CCNUCC (Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques), qui se réunira à Marrakech du 7 au 18 novembre prochains, marquera également la 1ère session de la CMA (Conference of the Parties serving as the Meeting of the Parties to the Paris Agreement) qui installera le nouveau régime multilatéral de régulation climatique, au sein duquel les acteurs non-étatiques, et en particulier les gouvernements infranationaux, tiennent une place de plus en plus importante. Le 1er Sommet « Climate Chance », qui s’est déroulé à Nantes du 26 au 28 septembre 2016, a été organisé dans cette perspective pour affirmer et préciser leur action climatique.
Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique
Le Sommet de Copenhague lors de la 15e CdP représentait la date butoir pour achever les négociations conformément au PAB (Plan d’Action de Bali) et à la Feuille de route de Bali, approuvés en décembre 2007. Son échec, douze ans après l’adoption du protocole de Kyoto, a acté la fin d’une approche contraignante et enregistré « la poursuite d’une redistribution mondiale de l’autorité politique », qui engage désormais les autorités locales. En décembre 2008, lors de la 14e CdP à Poznan, le Secrétaire exécutif de la CCNUCC, Yvo de Boer, reconnaissait déjà que « 50 à 80% des actions concrètes visant à réduire les émissions de GES (gaz à effet de serre) et quasiment 100% des mesures d’adaptation aux conséquences du changement climatique sont conduites à un niveau infra-étatique ».
Dans le cadre d’associations internationales comme CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis) ou d’événements transnationaux comme le 1er Sommet mondial des régions, qui a eu lieu en octobre 2008 à Saint-Malo, les collectivités locales se sont progressivement déployées à l’échelle mondiale afin de faire entendre leur voix dans les négociations climatiques. Pour la première fois, la décision adoptée à Cancun par les États a pris en compte en 2010 leur rôle dans les politiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. En l’espèce, cette dernière « reconnaît que de multiples parties prenantes doivent être mobilisées aux niveaux mondial, régional, national et local, qu’il s’agisse de gouvernements y compris les administrations infranationales et locales ».

Cadrage théorique
La mobilisation transnationale des collectivités locales et le renforcement de leurs partenariats avec les autres acteurs non-étatiques relèvent de deux mouvements simultanés.
1. La dissémination de l’autorité politique. S’il n’éteint pas les conflictualités territoriales qui caractérisaient le système westphalien, le processus de mondialisation laisse place à une concurrence accrue entre gouvernements locaux. Il s’agit pour eux de conquérir des parts du marché global, grâce à des stratégies de nature entrepreneuriale, comportant une double dimension politique et économique. Leur répertoire d’action revêt en effet une forme syncrétique qui combine la diplomatie classique, à l’exception notable du recours à la force militaire, et certains des outils d’interpellation et d’action propres aux ONG et aux firmes transnationales. C’est dans cette perspective qu’il convient désormais de situer les débats sur le multilatéralisme qui, « loin de se réduire à la description d’une nouvelle configuration interétatique, désigne plutôt l’émergence d’une nouvelle gouvernance mondiale, fragmentée et hybride ».
2. La nouvelle division internationale du travail climatique. Alors que le protocole de Kyoto n’impliquait que les pays industrialisés, mentionnés à l’Annexe I, en vue de réduire leurs émissions globales de GES dans des proportions et un calendrier très précis, l’Accord de Paris engage aussi bien les pays développés, les puissances émergentes que les PED (Pays En Développement) sur la base de leurs contributions volontaires, les INDC (Intended Nationally Determined Contribution). Les principaux leviers d’action climatique relevant principalement des acteurs non-étatiques au regard de leurs compétences (collectivités locales et entreprises), ces derniers acquièrent par conséquent un rôle important dans la définition et la mise en œuvre des stratégies nationales et, partant, internationales de développement climato-résilientes.

Analyse
Si l’Accord de Paris conforte le septième principe de la Déclaration de Rio (1992) relatif aux « responsabilités partagées et différenciées » des États, il traduit surtout le renversement du paradigme de l’action collective porté par la CCNUCC et qui était principalement fondé sur les travaux du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat). L’approche interétatique et normative qui prévalait avec le protocole de Kyoto a laissé la place à des initiatives décentralisées, « sans contraintes », organisées autour d’un objectif global déterminé par l’expertise scientifique (limiter la hausse de la température à 2°C d’ici 2100 et si possible 1,5°C) s’apparentant au plus petit dénominateur commun, au point que certains, comme François Gemenne, évoquent le passage « de la coopération à la coordination ».
Ce processus de récolement s’inscrit dans un plus vaste mouvement à l’œuvre depuis le virage climatique post-Copenhague – initié à Cancun et acté à Paris – qui offre de nombreuses fenêtres d’opportunités aux acteurs non-étatiques, et singulièrement aux autorités locales. Les synergies avec les autres grands accords multilatéraux sur le développement, indispensables pour leur réalisation effective, font par ailleurs l’objet d’appels répétés de la part de ces mêmes acteurs, comme l’illustrent les déclarations adoptées à l’issue des récents événements internationaux qu’ils ont organisés, comme le Sommet mondial « Climat & Territoires » à Lyon en juillet 2015, le 1er Sommet des élus locaux pour le climat à Paris dans le cadre de la 21e CdP ou encore celui de Nantes en septembre 2016. Articulés autour de la sécurité humaine et de la priorité donnée à la reconnaissance de droits à la fois individuels et collectifs, ces textes transnationaux entérinés par les acteurs étatiques renforcent la légitimité des acteurs non-étatiques, et notamment des gouvernements locaux au plus proche des attentes exprimées par les citoyens, à agir et revendiquer un rôle croissant sur la scène mondiale en général et au sein de l’arène climatique en particulier.
Le plan d’Actions Lima-Paris (devenu Global Climate Action Agenda) et la nomination de champions de haut niveau prévue à la partie IV de l’Accord de Paris témoignent ainsi de la volonté d’associer plus étroitement acteurs étatiques et non-étatiques portée par les Parties et les instances onusiennes, les unes pour décomposer les responsabilités (et donc les points de tension), les autres pour démultiplier les engagements climatiques et optimiser les résultats attendus. La présence de la championne française, Laurence Tubiana, durant les trois jours du Sommet de Nantes, et le soutien affiché de la championne marocaine allaient clairement dans ce sens, en ajoutant un canal officiel de médiation avec les agents centraux de la négociation. La déclaration de Nantes reconnaît en l’espèce que « la mobilisation [des acteurs non-étatiques] ne sera efficace que si elle s’appuie sur le dialogue renforcé avec les États et les instances onusiennes ».
Le lancement de la plateforme numérique NAZCA (Non-state Actor Zone for Climate Action) lors de la 20e CdP en traduit la réalité opérationnelle : cette dernière enregistre « les engagements à l’action climatique des entreprises, villes, gouvernements régionaux, les investisseurs et les organisations de la société civile ». Sur les 5305 structures recensées actuellement, les collectivités locales en représentent 47,7%, à parité avec les acteurs privés. Cet équilibre se vérifie également sur le nombre d’engagements (pour un total de 11615) alors que l’écart se creuse nettement dès que l’on adopte un regard plus qualitatif : sur la période pré-2020, le secteur privé pèse 88,6% contre 9,8% pour les gouvernements locaux. Les données fournies appellent une analyse approfondie mais confirment d’ores et déjà les différentiels de moyens et de temporalité qui permettent de mieux comprendre la mise en place des coalitions hybrides (eau, air, alliance solaire internationale
) qui se sont données à voir lors du Sommet de Nantes afin de faire valoir, après des États-Parties, leurs points de vue dans la perspective de la 22e CdP. En cela, ces « entités non-Parties intéressées » participent activement à une dynamique de reconfiguration partielle de l’arène climatique qui, tout en tendant à rapprocher les acteurs non-étatiques du cœur de la négociation, les tient à distance des décisions.

Références
Aykut Stefan C., Dahan Amy, Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2014.
Betsill Michelle M., Corell Elisabeth (Eds.), NGO Diplomacy : The Influence of Nongovernmental Organizations in International Environmental Negotiations, Cambridge (Mass.), MIT Press, 2008.
Petiteville Franck, Placidi-Frot Delphine (Éds.), Négociations internationales, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2013.
Setzer Joana, Environmental Paradiplomacy: the Engagement of the Brazilian State of São Paulo in International Environmental Relations, Thèse LSE, juin 2013, consultable à l’adresse : http://etheses.lse.ac.uk/839/1/Setzer_Environmental_paradiplomacy.pdf
Uzenat Simon, « Un multilatéralisme sans contraintes. Les engagements des États dans le cadre de Copenhague », Passage au crible (15), 18 fév. 20