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Les sentiers de la guerre Table ronde du 13 mars 2012

Le mardi 30 mars 2012, dans l’amphithéâtre Gestion de la Sorbonne, s’est tenue la quatrième table ronde du Mécano de la scène mondiale.
 Autour de l’ouvrage de Josepha Laroche, La Brutalisation du monde, du retrait des États à la décivilisation, Montréal, Liber, 2012.


Avec l’auteur, professeur de Science Politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directrice de Chaos International. Jean-Jacques Roche : Professeur de Science Politique à l’Université Paris 2 et Directeur de l’ISAD. Frédéric Ramel : Professeur de Science Politique à l’IEP de Paris et Directeur scientifique de l’IRSEM. Jérôme Larché : Médecin et Directeur délégué de Grotius International.

La synthèse de la quatrième séance du cycle Mécano de la scène mondiale organisée autour de l’ouvrage de Josepha Laroche, La brutalisation du monde.

 
Le mécano de la scène mondiale
Les sentiers de la guerre
Autour de l’ouvrage de Josepha Laroche, La Brutalisation du monde, du retrait des États à la décivilisation, Montréal, Liber, 2012.

Avec l’auteur Josepha Laroche, professeur de Science Politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directrice de Chaos International.
Jean-Jacques Roche : Professeur de Science Politique à l’Université Paris 2 et Directeur de l’ISAD.
Frédéric Ramel : Professeur de Science Politique à l’IEP de Paris et Directeur scientifique de l’IRSEM.
Jérôme Larché : Médecin et Directeur délégué de Grotius International.

I. De l’État pacificateur au retrait de L’État
II. Des acteurs non-étatiques dans un monde globalisé
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Josepha Laroche commence par rappeler que le titre de la table ronde Les Sentiers de la guerre est inspiré d’un texte de Freud, Considérations actuelles sur la guerre et la mort publié en 1915. Dans un premier temps, elle avait choisi cette expression comme titre d’ouvrage. Puis en approfondissant sa réflexion, il lui est finalement apparu qu’elle ne traitait pas à proprement parler de la guerre et de la paix, mais bien plutôt de la régression des violences interindividuelles au cours des derniers siècles et de leur actuel retour en force.

Pour ce faire, elle s’est appuyée sur un cadre d’analyse associant la psychanalyse, l’histoire et la sociologie politique des relations internationales. Il lui semble en effet que l’étude du politique devrait accorder à la dimension symbolique et psychique une place beaucoup plus importante qu’elle ne le fait.

I. De l’État pacificateur au retrait de L’État

Retour sur la pacification de la scène mondiale

Josepha Laroche explique que, dans la première partie de son ouvrage, elle a revisité la théorie de Norbert Élias consacrée au processus civilisationnel afin d’analyser les changements actuels de la scène mondiale. À partir de la fin du Moyen-Age, l’émergence de l’État et sa détention d’un monopole de la violence physique légitime ont induit une modification de l’économie psychique des individus se traduisant par un autocontrôle de leurs pulsions et affects. Sur le plan international, les États souverains se sont progressivement reconnus dans l’échange et l’altérité. L’art diplomatique s’est alors professionnalisé, assurant par là même une mission pacificatrice. Jean-Jacques Roche la rejoint sur ce point, mais en invoquant plutôt la notion d’amitié, présente dans la Charte des Nations Unies.

L’émergence de la brutalisation des rapports dans la sphère internationale

Josepha Laroche a choisi de recourir au concept forgé par l’historien George Mosse lorsqu’il a traité de la Première Guerre mondiale. Selon la thèse de ce dernier, la Grande Guerre représente un tournant historique au cours duquel les hommes ont cessé d’être considérés comme des êtres humains pour être appréhendés comme de simples quantités à massacrer par millions. Pour le théoricien allemand, cette tuerie de masse a transformé durablement l’économie psychique des hommes. Elle les a rendus durablement brutaux, plaçant l’indifférence à l’égard de toute vie humaine au cœur du social. Dès lors une nouvelle dimension a été conférée à la mort, cette guerre devenant ainsi la matrice de toutes les violences à venir. Aujourd’hui ce phénomène est à mettre en corrélation avec le retrait des États qui favorise les violences infra-étatiques et transnationales fondées sur l’exacerbation du narcissisme des petites différences.

Jérôme Larché rejoint cette théorie en mettant en avant la banalisation du fait militaire. Ce phénomène viendrait de la privatisation progressive de l’ordre et de la distance existant entre gouvernants et gouvernés.

Pour Jean-Jacques Roche, ces nouvelles formes de violences sont à attribuer à la remise en cause des instruments qui avaient permis la paix et l’équilibre des forces dans le monde westphalien.

Frédéric Ramel prend, pour sa part, appui sur le concept de corps politique pour analyser les sources de la guerre. Il entrevoit trois axes principaux : 1) L’aspiration à créer un nouveau corps politique. 2) Une carence du corps politique. 3) L’absence totale de corps politique. Comme Josepha Laroche, il défend une nouvelle approche de la décivilisation. Cependant, selon lui, il faudrait la penser en rapport avec le corps politique parce qu’elle marginalise une part de la société civile.

II. Des acteurs non-étatiques dans un monde globalisé

Les divergences conceptuelles face aux nouveaux types de violences

Pour Josepha Laroche, il convient de mettre en exergue la montée en puissance des différents communautarismes sur la scène mondiale. Mais elle se refuse à recourir au concept de société civile et a fortiori à la notion de communauté internationale. En effet, pour évoquer la multiplicité des acteurs hors souveraineté, elle préfère parler : 1) d’États qui disposent de moins en moins d’emprise sur les organisations sociales 2) d’une scène mondiale en proie à l’anomie et à la guerre de chacun contre chacun.

En revanche, Jean-Jacques Roche revient sur le rapport existant entre l’État et la société civile. Longtemps, la société civile a été considérée comme un facteur de paix, alors que les États étaient censés représenter la guerre. Or, cette approche n’est pas exacte car elle apparaît trop schématique et réductrice. Au contraire, ces dernières décennies les sociétés civiles ont été à l’origine de nombreuses guerres. Comme elles ont désormais acquis un poids plus important dans les Relations Internationales, il conviendrait, selon lui, de forger un nouveau pacte social.

Frédéric Ramel défend à nouveau le concept de corps politique, mais dans une acception qui intègre les dimensions matérielles, affectives et morales des individus. La tendance actuelle serait d’essayer de créer un corps politique mondial, une Global Governance. Cependant, lorsque l’on évoque la société civile, il faut également y intégrer la dimension économique car elle induit de nouveaux types de conflits sociaux (par exemple : la crise de la finance actuelle). Une guerre civile représenterait ainsi la source de l’émergence d’un corps politique.

Le mixing micro-macro dans le processus de globalisation

L’outil psychanalytique permet d’appréhender la scène mondiale en intégrant à l’analyse les émotions et les pulsions individuelles. Il nous aide à mieux comprendre les représentations des acteurs sociaux et les violences de masse dans lesquelles ils sont impliqués. Pour donner un exemple concret, Josepha Laroche revient sur le génocide perpétré au Rwanda. Elle souligne que les génocidaires élaborent des discours de rationalisation qui visent à les mettre en harmonie psychique avec l’acte qu’ils ont commis. Au terme de ce travail de reconstruction émotionnelle et psychique, ils n’éprouvent, le plus souvent, aucune culpabilité. Jean-Jacques Roche rejoint cette analyse en faisant référence aux enfants soldats. Cette approche permet de prendre en compte la dimension micro- macro à travers les représentations des acteurs.

Jérôme Larché, quant à lui, expose l’émergence de zones grises qui caractériseraient une forme de sécession sociale. Ce construit social à l’échelle mondiale implique de ne pas limiter le traitement des phénomènes au plan local. Il s’agit au contraire d’en mesurer toute la dimension glocale avec l’apparition de ces zones de pathologie sociale.

Pour Frédéric Ramel, il convient de mettre en exergue les paradoxes de la notion de guerre pour illustrer ce changement de paradigme. Il en dénombre trois : 1) Sur le plan linguistique, il existe un recours massif au terme de guerre dans le langage médiatique. En revanche, on assiste au refus de l’utiliser dans le champ politique. La guerre disparaît de l’horizon des États. 2) Sur le plan stratégique, on voit apparaître un brouillage car on ne sait plus qui est défini comme ennemi : acteur hors souveraineté ? ou État ? 3) Sur le plan pratique, la guerre reste liée à l’action des États, particulièrement en Occident. Ainsi, assiste-t-on à des débordements de moyens, par exemple en Irak ou en Afghanistan. Cependant, en dépit de ces phénomènes, les États perdent ou n’arrivent pas à gagner politiquement des guerres : Jean-Jacques Roche et Frédéric Ramel insistent particulièrement sur ce point. Se pose alors la question de l’efficacité de l’outil militaire.

À la fin de la table ronde, les questions de l’assistance permettent d’aborder la problématique guerre zéro mort et de revenir sur la perception de la mort dans les sociétés actuelles. Tous les intervenants s’accordent pour considérer que la mort au combat est devenue aujourd’hui un tabou dans les pays occidentaux, avec un seuil de tolérance très bas. C’est pourquoi, lorsque des soldats meurent au combat, les autorités leur rendent solennellement hommage (Président de la République, corps constitués, ministre de la Défense, etc.). Or, Jean-Jacques Roche rappelle pourtant que, dans les guerres, 90% des victimes sont des civils. Il existe donc un paradoxe au cœur des représentations sociales. Pour autant, cela ne remet pas en cause la thèse de la brutalisation qui pointe les conflits infra-étatiques liés à l’exacerbation des communautarismes.

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La note de Frédéric Ramel
Entrevue, l’Actualité médicale, Québec, 14 mars 2012
 Revue IRIS, 86, été 2012
Le Soir, Belgique, 24 avril 2012