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PAC 20 – L’emprise américaine sur la coopération humanitaire Les Tractations autour de la reconstruction d'Haïti

Par Clément Paule

Passage au crible n°20

Source : Pixabay

La conférence internationale des donateurs pour Haïti s’est déroulée le 31 mars 2010 à New York. 9,9 milliards de dollars y ont été promis, à moyen terme, pour la reconstruction de cet État caribéen. Alors que les dégâts provoqués par le séisme du 12 janvier avaient été évalués à 7,9 milliards de dollars, soit 120% du PIB (Produit Intérieur Brut) haïtien, cet événement diplomatique a été considéré comme un grand succès. Les commentateurs ont tout d’abord souligné la réussite de la mobilisation financière, bien supérieure aux prévisions et couvrant la majeure partie des besoins estimés par le gouvernement Préval. De nombreuses analyses ont mis en relief les aspects participatifs d’un processus qui aurait impliqué aussi bien les bailleurs bilatéraux et multilatéraux que les ONG (Organisations Non Gouvernementales), la diaspora, le secteur privé ou encore les collectivités locales. L’enjeu résiderait désormais dans l’emploi effectif des moyens recueillis et la coordination de la multitude d’acteurs impliqués à des degrés divers dans la reconstruction du pays. D’où la création de mécanismes institutionnels afin de garantir transparence et responsabilité – accountability – dans l’utilisation des fonds internationaux.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Haïti a connu au cours des dernières décennies plusieurs catastrophes de grande ampleur, provoquées surtout par la combinaison de phénomènes hydrologiques et météorologiques. Parmi les plus récentes, citons le cyclone Jeanne qui a causé la mort de plusieurs milliers de personnes en 2004, notamment dans la région de Gonaïves – ville située à 150 kilomètres au nord de Port-au-Prince. La même zone a été de nouveau dévastée par la succession de quatre ouragans en août et septembre 2008, qui a entraîné près de 800 décès. Ces aléas auraient affecté plus de 800 000 personnes et ont occasionné des dommages considérables, évalués à plus d’un milliard de dollars de dégâts.

Le pays fait également l’objet d’une attention internationale soutenue car il est considéré comme un État fragile, voire en faillite – failing State –, potentiellement déstabilisateur pour la région caribéenne. Les relations tendues entre Haïti et son voisin dominicain, la question migratoire – la diaspora haïtienne est estimée à près de 2 millions de personnes – et environnementales constituent aussi des préoccupations récurrentes. La précarité persistante des indicateurs socio-économiques haïtiens, conjuguée à une aide internationale inégale et fluctuante selon la conjoncture, ont conduit plusieurs bailleurs de fonds à diagnostiquer l’échec de leurs programmes successifs de développement. Ces dernières années, ces acteurs bilatéraux et multilatéraux se sont réunis à plusieurs reprises pour coordonner leurs stratégies envers Haïti, à l’occasion de crises politiques – le coup d’État militaire de 1990, l’éviction du Président Jean-Bertrand Aristide en 2004 – ou bien de catastrophes naturelles. Ainsi, une conférence des donateurs a-t-elle eu lieu le 14 avril 2009 à Washington, peu après les ouragans et les émeutes de la faim de 2008.

Cadrage théorique

1. Diplomatie des catastrophes. La survenue d’accidents naturels ou technologiques de grande ampleur a historiquement fait l’objet de mobilisations de solidarité internationale envers les sinistrés. Il semblerait que les États et les organisations interétatiques investissent de plus en plus ce champ d’action qui permet une grande visibilité – voire une mise en scène – de leurs interventions face à la succession de désastres toujours plus médiatisés.
2. Rationalisation des dispositifs d’aide. La reconstruction d’Haïti a ravivé de nombreux débats sur les bonnes pratiques des bailleurs bilatéraux et multilatéraux. Dès lors, les instruments et institutions mis en place tendent à se complexifier pour résoudre des difficultés qui semblent politiques, mais sont cependant identifiées comme de simples problèmes techniques, tels la coordination ou l‘effectivité des programmes.

Analyse

Certains acteurs, parmi lesquels des ONG locales ou internationales, ont critiqué l’omniprésence des États-Unis aussi bien sur le terrain – près de 20 000 militaires américains ont été déployés – que dans les négociations diplomatiques. Le lieu de la réunion des bailleurs et le rôle joué par le couple Clinton apparaissent par exemple comme des illustrations symboliques de cet investissement. Le fait que la Secrétaire d’État américaine co-préside toutes les sessions successives – aux côtés du Président René Préval et du Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon – traduirait ce contrôle étroit sur le déroulement de la conférence. Ce qui a suscité des critiques, ainsi le New York Times rapporte-t-il notamment qu’un diplomate européen aurait évoqué ironiquement l’événement comme le Bill and Hillary Show. À cet égard, il faut toutefois rappeler que l’ex-Président Clinton intervenait en tant qu’envoyé spécial des Nations-unies en Haïti – position qu’il occupe depuis mai 2009 – après avoir été un acteur de la reconstruction en Asie du Sud-est faisant suite au tsunami. Mais les modalités de l’aide auraient créé des tensions en coulisses, le gouvernement haïtien s’inquiétant d’être mis à l’écart dans des projets que le Département d’État mettrait en œuvre unilatéralement.

L’organisation de la conférence révèle aussi les contradictions et l’inconsistance de la diplomatie européenne. En effet, l’UE (Union Européenne) a bien fourni la contribution la plus importante à la reconstruction, soit près de 1,6 milliard de dollars – dont 243 millions proposés par la France. Ce chiffre est nettement supérieur aux aides américaine – 1,15 milliard – ou canadienne – 390 millions. Pourtant, les représentants européens ne semblent pas avoir exercé un impact proportionnel à cette enveloppe, loin s’en faut. À ce propos, il convient de rappeler que Catherine Ashton – la Haute-Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères – avait été très critiquée lors de la catastrophe ; la diplomate ne s’étant pas rendue en Haïti immédiatement après le séisme, contrairement à son homologue américaine, Hillary Clinton. Dès le 19 janvier, Michèle Striffler, députée européenne et rapporteur permanent pour l’aide humanitaire, déplorait une action peu visible de l’UE, au regard de l’intervention ostentatoire des États-Unis. En outre, Ashton, décriée pour son inexpérience diplomatique, a dû faire face à la concurrence de la présidence espagnole de l’Union, très active en Haïti. La Haute Représentante a également dû composer avec les annonces unilatérales, voire inattendues de certains États membres, comme la France proposant par exemple une conférence internationale dès le 14 janvier. Les pays européens ont pu paraître dispersés, et parfois divisés dans leurs efforts d’aide, notamment lorsqu’il s’est agi d’envoyer plusieurs centaines de gendarmes pour renforcer la MINUSTAH (Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation en Haïti) fin janvier 2010. De plus, si la France, l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas ont bien accepté de fournir du personnel, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont, en revanche, refusé de se joindre à l’opération. Enfin, il convient toutefois de nuancer ces dysfonctionnements dans la mesure où Haïti ne représenterait pas le même enjeu pour l’UE que pour des pays concentrant une forte diaspora haïtienne, tels les États-Unis ou encore le Canada.

Plus généralement, la conférence a été marquée par l’intérêt que les participants ont accordé au bon usage d’une aide devant être désormais efficace, coordonnée et transparente. L’État sinistré a tout d’abord été replacé au centre du dispositif, ce qui avait été réclamé en vain jusque-là par les gouvernements haïtiens successifs. Or cette orientation tend à inverser une tendance persistante des bailleurs à canaliser les fonds d’assistance par les ONG – depuis le milieu des années quatre-vingt – afin de contourner un acteur étatique jugé corrompu et incapable. En l’occurrence, cela permettait également d’exercer des pressions sur des gouvernements récalcitrants : ainsi, l’embargo décidé par les États-Unis en 1991, après le coup d’État contre le président Aristide, interdisait-il toute assistance. Mais la nouvelle Commission Intérimaire pour la Reconstruction – Interim Haiti Recovery Commission – sera coprésidée par le Premier ministre haïtien Jean-Max Bellerive et l’envoyé spécial des Nations-unies Bill Clinton. L’ouverture envers les acteurs haïtiens reste donc limitée et empreinte de suspicion. Quant aux associations locales, certaines s’estiment pour leur part, exclues du processus. Enfin, un fonds international administré par la Banque mondiale doit rassembler les contributions des multiples bailleurs. Cette future coordination est présentée comme la clé d’une bonne gouvernance qui doit s’appliquer au dispositif d’aide. En l’espèce, il est clair que cette rationalisation cherche à contrebalancer l’hétérogénéité de l’action publique internationale d’ores et déjà en cours. Ces initiatives risquent néanmoins de se heurter aux réalités de la mise en œuvre et plus encore à la concurrence existant entre les différents acteurs internationaux, concurrence entravant la réforme des Nations-unies depuis déjà plusieurs décennies. À bien des égards, la reconstruction d’Haïti pourrait par conséquent bientôt apparaître au plan mondial comme un test, en termes d’action collective.

Références

Buss Terry, Gardner Adam, Haiti in the Balance: Why Foreign Aid Has Failed and What We Can Do About It, Washington D.C., Brookings Institution, 2008.
MacFarquhar Neil, “Haiti Frets Over Aid and Control of Rebuilding”, The New York Times, March 31, 2010.
Maguire Robert, “Haiti: Towards and Beyond the Donors’ Conference”, USIP (United States Institute of Peace) Peace Brief, USIP, (17), April 8, 2010.