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PAC 78 – Le succès politique d’une contre-expertise militante La polémique sur la toxicité des OGM

Par Clément Paule

Passage au crible n°78

PAC 78, OGMSource : Wikipedia

Publiée le 19 septembre 2012, l’étude dirigée par Gilles-Éric Séralini – professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen – a relancé les débats sur les OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) et leur utilisation dans le secteur agroalimentaire. Les conclusions de cette recherche affirment en effet la toxicité de deux produits de la firme Monsanto : l’herbicide Roundup et le maïs transgénique NK 603. Ces résultats ont pourtant été remis en question par une grande partie de la communauté scientifique, qui a pointé les faiblesses statistiques et méthodologiques de la démonstration. Certains commentateurs ont même évoqué les éventuels conflits d’intérêts d’une enquête financée par une association réputée pour ses positions militantes. Par ailleurs, plusieurs organismes français – à l’instar du HCB (Haut Conseil des Biotechnologies) et de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) – et internationaux – comme l’EFSA (European Food Security Authority) ou les agences sanitaires allemande et australienne – ont successivement invalidé les investigations du Pr. Séralini et de son équipe. Notons que cette polémique a rapidement impliqué de nombreux acteurs des champs politique – dont quatre ex-Ministres de l’Environnement – et associatif, tout en débordant les frontières nationales. La nécessité d’évaluer à long terme l’impact des plantes transgéniques a dès lors été réaffirmée dans l’agenda des décideurs, ouvrant la perspective d’une régulation plus contraignante au niveau européen.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Les premières manipulations génétiques ont eu lieu au début des années soixante-dix, aboutissant une décennie plus tard aux cultures pionnières d’OGM. Ces avancées techniques ont stimulé des investissements considérables du secteur privé dans la biotechnologie. Surtout employées par les firmes pharmaceutiques, les applications de la transgénèse vont rapidement s’étendre à l’agriculture sous l’égide de compagnies transnationales comme Monsanto ou Bayer. À cet égard, signalons la mise sur le marché en 1994 de la tomate Flavr Savr, premier aliment génétiquement modifié à obtenir l’autorisation de la FDA (Food and Drug Administration) aux États-Unis. Plus généralement, l’industrie agrochimique née de la Révolution verte, jusqu’ici spécialisée dans les intrants – herbicides et pesticides –, s’est désormais redéployée dans la production de semences transgéniques largement utilisées sur l’ensemble du continent américain. D’après l’ISAAA (International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications) – organisation de lobbying en faveur des biotechnologies végétales –, 160 millions d’hectares seraient aujourd’hui concernés par ces techniques – contre 1,7 million en 1996 –, une surface en augmentation de 8% pour la seule année 2011. Si ces chiffres paraissent surévalués selon Greenpeace, il faut néanmoins constater que la proportion du maïs transgénique cultivé aux États-Unis, évaluée à 30% en 1998, a atteint les 85% en 2009.

Dans cette logique, ce modèle agricole s’est diffusé dans les pays dits émergents comme le montre l’exemple emblématique du soja au Brésil et en Argentine. Ce développement exponentiel de la biotechnologie agroalimentaire a bénéficié sous ce rapport d’une absence de véritable régulation jusqu’au début des années quatre-vingt-dix. Toutefois, la survenue de crises sanitaires à répétition au sein des États occidentaux – comme l’ESB (Encéphalopathie Spongiforme Bovine) – a provoqué l’essor de mobilisations citoyennes d’envergure transnationale – depuis les associations de consommateurs jusqu’aux ONG (Organisations Non Gouvernementales) environnementales – ainsi qu’un renforcement des législations mises en œuvre par des agences spécialisées. Les OGM sont alors apparus comme un problème public dans plusieurs pays européens. En témoigne le moratoire de fait sur la commercialisation des produits génétiquement modifiés, adopté par l’UE (Union européenne) au nom du principe de précaution de juin 1999 à mai 2004. Mentionnons enfin, à l’échelle internationale, le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques – relatif à la Convention sur la diversité biologique de 1992 – entré en application en 2003, comptant 164 signataires parmi lesquels ne figurent ni les États-Unis, ni le Canada.

Cadrage théorique

1. Internationalisation d’une controverse sociotechnique. Empreint d’une forte incertitude, le questionnement autour des OGM dans l’agroalimentaire paraît incarner ces situations difficilement gouvernables où le politique semble en retrait. Dès lors, l’expertise joue un rôle déterminant dans la régulation d’un secteur aux implications mondiales.
2. Construction d’un lanceur d’alarme. Dans cette logique, les études mettant en cause les produits transgéniques constituent autant de coups tactiques dont les effets se mesurent surtout dans leurs multiples usages sociaux, échappant en grande partie au seul champ scientifique.

Analyse

Ainsi, la controverse sur les biotechnologies végétales se caractérise avant tout par sa complexité puisqu’elle fait intervenir de nombreux acteurs situés à différentes échelles. La production et la diffusion des OGM sont en l’espèce contrôlées et soutenues par le groupe oligopolistique des firmes agrochimiques, essentiellement états-uniennes – Monsanto, DuPont, Dow Agrosciences LLC – et européennes à l’instar de Bayer Cropscience, BASF, ou encore Syngenta. À l’évidence, la dimension économique s’avère ici fondamentale aussi bien dans la guerre commerciale que se livrent les États-Unis et l’UE au sein de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) que dans la domination exercée sur les PED (Pays en développement) qui importent ces techniques agricoles. Mais elle ne saurait être dissociée des problématiques sanitaires et environnementales, défendues par des réseaux militants et certains gouvernements. En l’espèce, l’intrication de ces différents enjeux permet de déconstruire les stratégies de légitimation employées par les industriels. Citons l’argument humanitaire présentant les aliments transgéniques – notamment l’initiative du Golden Rice – comme une solution pragmatique à la malnutrition chronique ravageant le Sud. Alors même que les semenciers ont cherché parallèlement à protéger leurs brevets en s’appuyant sur les ADPIC (Accords sur les Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce) et par le développement du gène Terminator, procédé pour l’heure non commercialisé.

Globalement, ces multiples arènes de conflit révèlent des dynamiques de transnationalisation d’une controverse qui se décline de manière différenciée selon les États. Si les OGM alimentaires constituent un problème public dans de nombreux pays européens – dont la France, la Grèce ou encore l’Autriche – ils sont considérés comme équivalents en substance aux autres produits par la FDA. Dans cette logique, le principe de précaution prend tout son sens au sein de l’UE, justifiant une réglementation contraignante en termes de traçabilité et d’étiquetage. Au contraire, ces exigences n’existent pas aux États-Unis comme le montre la proposition 37 en Californie. En l’absence d’un consensus sur l’innocuité à long terme de ces produits, les acteurs politiques se replient souvent sur des stratégies d’évitement – blame avoidance – caractérisées par le report des responsabilités sur les experts. À mesure que se développe le débat sur les aliments transgéniques, les actions symboliques – à l’instar des faucheurs volontaires en France – tendent de surcroît à laisser la place à une technicisation de la polémique.

Il importe sous ce rapport de circonscrire l’impact des études scientifiques : diffusée en 1999, la recherche du Pr. Losey sur la toxicité d’un maïs de type Bt pour le papillon monarque avait été utilisée afin de justifier le moratoire européen sur l’extension de la culture et de la commercialisation des OGM. S’agissant de l’enquête dirigée par le Pr. Séralini, remarquons qu’il s’agit d’une véritable campagne de communication. En effet, les résultats ont été transmis à une partie de la presse française deux semaines avant la publication officielle, sous couvert d’une clause de confidentialité. Le traitement médiatique s’est alors d’autant plus caractérisé par son côté sensationnaliste que les journalistes n’ont pu faire appel à d’autres avis scientifiques. Puis, deux ouvrages et un documentaire ont accompagné la parution de l’article du Pr. Séralini, consacrant sa position de lanceur d’alarme et assurant le succès de la mobilisation malgré le désaveu quasi unanime de ses pairs. À ce titre, le concept même d’expertise paraît ici redéfini, dans la mesure où l’on assiste à une reconfiguration militante de ses frontières et de son rôle. Au-delà des stigmatisations récurrentes portant sur d’éventuels conflits d’intérêts, cette activité située avant tout – entre savoirs et pouvoirs – contribue ainsi à requalifier politiquement des enjeux délaissés par les autorités.

Références

« OGM : comment ils conquièrent le monde », Alternatives internationales (43), juin 2009.
Bérard Yann, Crespin Renaud (Éds.), Aux Frontières de l’expertise. Dialogues entre savoirs et pouvoirs, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010. Coll. « Res Publica ».
Kempf Hervé, La Guerre secrète des OGM, Paris, Seuil, 2003.