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PAC 33 – L’Union européenne, protectrice des droits de l’Homme La gestion sécuritaire des Roms par la France et son discrédit à l’été 2010

Par Catherine Wihtol de Wenden

Passage au crible n°33

Source : Pixabay

Durant l’été 2010, le gouvernement français a décidé de reconduire vers leur pays – la Roumanie pour la plupart – les Roms campant en France dans des zones illicites. En échange, il a été proposé aux volontaires un pécule de 300 euros. L’argument suivant lequel ils seraient pénalement responsables de leurs campements établis dans des zones non autorisées a défrayé la chronique dans les pays européens et jusqu’aux institutions de Bruxelles. La plupart d’entre eux sont en effet – à l’exception de l’ex-Yougoslavie – ressortissants d’États membres de l’Union européenne (depuis 2007 pour la Roumanie et la Bulgarie) et ils bénéficient à ce titre de la liberté de circulation.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Selon les sources, cette population comprend 9 à 12 millions. À l’origine, les Roms proviennent de populations indiennes qui auraient pris la fuite, il y a plus de mille ans. Ils sont passés à travers la Perse, puis l’empire byzantin et l’Europe centrale et orientale avant de gagner l’Europe du sud, notamment l’Espagne. Autrement dit, ils font partie de l’histoire de l’Europe depuis le Moyen Age. On en dénombre désormais environ 2,4 millions en Roumanie (soit 10% de la nation), 800 000 en Bulgarie, (10% de la population), 800 000 en Espagne, 600 000 en Russie, 600 000 en Hongrie, 500 000 en Turquie, 400 000 en France, 150 000 au Royaume-Uni (selon des données chiffrées, fournis par La Croix en 2008).

Ils sont également présents aux États-Unis et au Canada depuis le dix-neuvième siècle ainsi qu’en Israël depuis ces vingt dernières années. De même, on note leur présence en Allemagne et au Portugal qui les a déportés vers ses colonies africaines et vers le Brésil dès le XVIIe siècle. Cependant, ils sont surtout nombreux aujourd’hui en Europe centrale et orientale où ils forment une composante non négligeable de la population, entre 5 et 10%. La majorité est devenue sédentaire, tandis que d’autres demeurent nomades. Ces derniers sont appelés, en France, « gens du voyage », comme d’autres itinérants non Roms. Soulignons que tous les Roms ne sont pas nomades et tous les gens du voyage ne sont pas des Roms. Ainsi par exemple, certains Français exercent-ils des métiers du voyage – marchands forains, théâtre ambulant, cirque – depuis des générations, sans être pour autant des Roms.

Cadrage théorique

Retenons deux lignes de force :

1. La question du contrôle des frontières par un Etat. La France est intervenue dans un contexte européen où la liberté de circulation des Européens de l’Union figure parmi les droits essentiels des citoyens européens.
2. La souveraineté d’un Etat européen sur une matière largement européanisée. Ceci signifie que la gestion des flux migratoires ne peut relever de la seule compétence et de la seule autorité souveraine d’un État membre. Ce dernier doit compter avec les autorités de Bruxelles et composer avec elles.

Analyse

Certes, le gouvernement français pouvait infliger des sanctions pénales aux Roms et aux autres nomades pour campement irrégulier. Mais nombre de communes ne respectent toutefois pas la législation leur enjoignant de prévoir un espace de stationnement au-delà d’un certain nombre d’habitants. En outre, il ne pouvait pas pour autant reconduire à la frontière, des Européens comme de simples migrants extra-européens en situation irrégulière, même avec une offre de 300 euros. Le second point faisant problème, reste le ciblage ethnique : comment décider qu’il s’agit de Roms alors que la France n’a pas officiellement de statistiques ethniques ? Or, une circulaire du 5 Août 2010 émanant du Ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, les a pourtant désignés nommément, avant qu’elle ne soit précipitamment retirée face aux réactions des média et d’une partie de l’opinion publique. De nombreuses atteintes à la déontologie de la sécurité par les forces de police ont déjà été mises à jour au sujet de Roms. De toute évidence, l’opération s’inscrivait, semble-t-il, dans le seul souci de séduire une certaine frange de l’opinion publique –davantage marquée à droite – face à l’échec d’autres dispositions, comme le débat sur l’identité nationale. Cette politique est sans doute apparue d’autant plus légitime aux autorités françaises que la France ne semblait pas isolée sur ce dossier. En Italie, la capitale a été par exemple perdue par la gauche socialiste aux dernières élections municipales sur le thème de l’insécurité ; la droite ayant criminalisé la question des Roms, après l’avoir portée avec succès au cœur de la campagne électorale.

Le 15 octobre 2010, une recommandation du Parlement européen a condamné cette reconduction à la frontière des Roms. Elle a été suivie d’une intervention de la Commissaire à la Justice, Viviane Reding, qui a comparé la période actuelle à celle des années quarante. Par ailleurs, une prise de position du Conseil européen est également allée dans ce sens. La politique française a alors été discréditée par Bruxelles et le cas français largement médiatisé à l’étranger. En effet, les Roms représentent une population qui a déjà été victime de persécutions à plusieurs reprises. Ainsi, ont-ils été mis à l’écart pendant plusieurs siècles en Europe de l’Ouest et de l’Est avant d’être gravement persécutés sous le nazisme. Rappelons qu’en Roumanie, ils ont été assujettis au servage jusqu’en 1865, puis sédentarisés de force sous le communisme, comme dans les autres pays d’Europe centrale et orientale. Fortement discriminés et privés de leurs avantages sociaux depuis la chute du mur de Berlin, certains d’entre eux sont redevenus nomades, comme leurs compatriotes roumains et bulgares non Roms, anticipant souvent sur la liberté de circulation dès le début des années quatre-vingt-dix. Finalement, ils l’ont acquise respectivement en 2000 (Bulgarie) et 2001 (Roumanie). Pourtant, ils ne bénéficieront de la liberté de travail et d’installation qu’en 2014.

Durant l’été 2010, l’affaire des Roms est apparue révélatrice du traitement improvisé et unilatéral de cette question européenne par la France. Elle a suscité les réactions du gouvernement roumain, avec lequel les responsables français avaient tenu sur ce sujet plusieurs rencontres bilatérales au cours de ces cinq dernières années. Bucarest déplorait qu’une confusion entre Roms et Roumains puisse s’insinuer dans les esprits. Mais la Roumanie a plus encore démontré que l’Europe existait, comme garante de la défense des droits de l’Homme quand les limites au respect des droits se trouvaient dépassées. À cet égard, la riposte du Parlement européen, conjointement à celle de la Commissaire européenne à la Justice et aux vives réactions du Conseil européen d’octobre 2010 ont rappelé que les institutions bruxelloises restaient vigilantes dès lors que les droits des Européens étaient menacés.

Références

Sur les roms en Europe : La Croix, 10 Août 2010
Sur les roms en général : revue Etudes tziganes
Alain Reyniers (ULB) : http://www.iiac.cnrs.fr/lau/spip.php?article129