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PAC 29 – Les petits pas de la CPI contre l’impunité L’arrestation en France d’un criminel de guerre présumé, le 11octobre 2010

Par Yves Poirmeur

Passage au crible n°29

Source : Pixabay

Le 11 octobre 2010, les autorités françaises ont arrêté Callixte Mbarushimana, secrétaire exécutif des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda-Forces combattantes Abacunguzi, visé par un mandat d’arrêt de la CPI (Cour Pénale Internationale) pour des crimes de guerres et des crimes contre l’humanité qu’il est présumé avoir commis, en 2009, dans les provinces du Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo. Cette arrestation d’un ressortissant rwandais résidant en France depuis 2002, avec le statut de réfugié politique, illustre les avancées de la lutte contre l’impunité rendue possible par la création de la CPI dont la France a été l’un des premiers pays européens à ratifier le statut de Rome (9 juin 2000). Elle a pu procéder à cette arrestation parce qu’à la différence d’États moins collaboratifs, elle avait adapté dès 2002 (loi du 26 février 2002) sa procédure pénale pour répondre aux demandes d’enquête et d’arrestation de suspects émanant de la CPI. Toutefois la législation française laisse encore une place substantielle à l’impunité. En effet, la récente loi du 10 août 2010 qui parachève « l’adaptation droit pénal à l’institution de la CPI » procède à une harmonisation très restrictive du droit pénal interne avec la définition des incriminations retenue par le statut de Rome. En outre, elle retient une conception trop étroite de la compétence universelle. Ceci permet en conséquence à certains criminels internationaux présents sur son territoire français d’échapper aux poursuites.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

La répression internationale des crimes internationaux s’est difficilement institutionnalisée, au cours du XXe siècle, dans une société internationale constituée d’États souverains voyant tout engagement international de la responsabilité pénale de leurs dirigeants et de leurs soldats comme une atteinte inacceptable à leur souveraineté. Apparue une première fois sous la forme des tribunaux ad hoc de Nuremberg (1945) et de Tokyo (1946), la justice pénale internationale a connu ensuite une longue éclipse liée au conflit est/ouest. Puis, elle a pris la forme de juridictions spéciales créées par le Conseil de sécurité de l’ONU pour juger les responsables des violations du droit international humanitaire en Yougoslavie –TPIY (1993)- et du génocide au Rwanda –TPIR (1994). Finalement, elle a été dotée d’une juridiction permanente par la Convention de Rome (1998) instituant la CPI avec pour mission de poursuivre et sanctionner les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le génocide, et le crime d’agression dont la définition n’est pas encore donnée. Les enquêtes ouvertes par cette juridiction très récente sont, pour l’instant, encore peu nombreuses, tout comme les mandats d’arrêts et les citations à comparaître qu’elle a délivrés. Ses investigations concernent la République centrafricaine, le Darfour, l’Ouganda, le Kenya et la République démocratique du Congo, alors que bien d’autres situations justifieraient certainement des enquêtes comme en Côte d’Ivoire, en Guinée, Colombie et Palestine.

Dans la lutte contre l’impunité, la justice pénale internationale se heurte à deux obstacles principaux. Le plus évident résulte de ce que seuls 113 États ont, pour l’heure, ratifié le statut de Rome, ce qui permet aux criminels internationaux de trouver refuge sur le territoire des pays qu’il ne lie pas. Le second obstacle réside dans le souci des États de conserver leur indépendance en faisant notamment prévaloir leur conception du droit pénal et en assurant l’impunité de certains crimes dans lesquels ils pourraient être éventuellement impliqués. Il tient aussi au défaut d’harmonisation des incriminations du droit pénal des États parties avec celles du droit pénal international et à l’inadaptation de leurs procédures pénales pour répondre aux demandes d’enquête et d’arrestation de la CPI. Enfin, il est également dû aux définitions trop restrictives de leur compétence universelle qui laissent subsister d’importantes failles juridiques permettant à toute personne suspectée d’un crime international d’une gravité extrême de se soustraire à toute poursuite, tant devant les juridictions nationales que devant la CPI.

Cadrage théorique

1. Le principe de complémentarité. L’architecture de la justice pénale internationale retenue par le statut de Rome (art. 1) repose sur un principe de complémentarité donnant aux juridictions nationales compétence prioritaire pour juger les crimes internationaux. Ce n’est qu’à titre subsidiaire – dans l’hypothèse où les États sont défaillants et n’exercent aucune poursuite – que la CPI est compétente pour connaître limitativement « des crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale dans son ensemble » (art. 5).
2. La compétence universelle. L’opérationnalisation du statut de Rome exige que les États parties exercent pleinement la compétence universelle qui leur est internationalement reconnue pour réprimer des infractions commises par des personnes à l’étranger, alors que ni leur auteur, ni leurs victimes ne sont ses ressortissants. Pour pouvoir le faire légitimement – sans encourir le reproche de s’ingérer dans les affaires d’un autre État ou d’instrumentaliser la justice à des fins politiques – il convient que la définition de ces infractions par le droit pénal interne soit conforme à celle du droit international et accessoirement que l’ensemble de la procédure judiciaire – enquêtes, instruction, procès – respecte les principes du droit à un procès équitable en offrant des garanties similaires à celles de la CPI.

Analyse

Lorsque la CPI prend l’initiative des enquêtes et des poursuites, le code de procédure pénale (art.627-4 à 627-15) permet à la France de collaborer efficacement avec elle et d’assurer l’impunité. En revanche, la loi du 10 août 2010 soumet la mise en œuvre de la compétence universelle pour les crimes relevant du statut de Rome à des exigences si lourdes que son exercice par les juridictions françaises risque d’être tout à fait exceptionnel, permettant ainsi à des criminels internationaux de se glisser entre les mailles du filet répressif. En effet, cette compétence extraterritoriale des juridictions est subordonnée à quatre conditions cumulatives : 1) la résidence habituelle de l’auteur présumé des faits sur le territoire de la République ; 2) l’incrimination de ces faits par la législation pénale de l’État où ils ont été commis ou, à défaut, la ratification par cet État ou par celui dont la personne concernée à la nationalité de la convention de Rome ; 3) la poursuite de ces crimes ne peut intervenir qu’à la requête du ministère public ; enfin 4), aucune juridiction internationale ou nationale ne doit avoir demandé la remise ou l’extradition de l’auteur des faits, ce dont le ministère public doit s’assurer en vérifiant notamment que la CPI «décline expressément sa compétence » (code de procédure pénale, art. 689-11). Le critère de la résidence habituelle plutôt que celui d’une simple présence de l’auteur présumé de crimes graves sur le territoire national, épargnera à la France – au grand dam des associations de défense des droits de l’homme – d’avoir à juger les nombreux auteurs présumés de crimes internationaux de passage sur son sol, qui peuvent sans grands risques continuer à rendre de simples visites. Quant au principe de complémentarité consacré par le statut de Rome et donnant la priorité des poursuites aux juridictions nationales, il paraît comme inversé par la subordination de leur engagement à la condition que la CPI décline préalablement sa compétence. C’est ainsi une conception résiduelle de la compétence universelle pour les crimes les plus graves qu’a consacrée le législateur au prétexte d’éviter une improbable concurrence entre juridictions. La loi de 2010 a par ailleurs adapté le code pénal aux définitions des crimes prévus par le statut de la CPI, en y insérant un nouveau livre dédié à la répression des crimes de guerre incluant de nouvelles incriminations – viols, meurtres… –, en complétant la liste des faits constitutifs de crimes contre l’humanité – atteintes volontaires à la vie, atteintes à la liberté ou de violences aux personnes sous toutes leurs formes dans le cadre d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile – et en précisant les responsabilités des auteurs de génocides, l’incitation publique et directe à commettre un génocide étant désormais sanctionnée. Si l’arsenal répressif est aujourd’hui heureusement renforcé et d’importantes lacunes comblées, l’harmonisation demeure loin d’être achevée. Il suffit pour s’en convaincre, d’observer que le délai de prescription des crimes de guerre fixé par le code pénal est de 30 ans, alors que le statut de Rome retient l’imprescriptibilité des crimes relevant de la compétence de la Cour (art. 29). C’est moins par les lacunes de sa transposition des infractions internationales en droit interne que par sa conception étriquée de la compétence universelle, lui évitant complications politiques et désagréments diplomatiques, que la France limite sa contribution directe à la lutte contre l’impunité, en engageant elle-même les poursuites. En revanche, elle y participe efficacement et sans risque en coopérant pleinement avec la CPI. C’est ainsi que le 3 novembre 2010, la Cour d’appel de Paris a ordonné la remise de M. Mbarushimana à la Cour de La Haye.

Références

Bussy Florence,  PoirmeuYvesr, La Justice politique en mutation, Paris, LGDJ, 2010.
Philippe Xavier, Desmarest Anne,  « Le projet de loi portant adaptation du droit pénal français à la Cour Pénale Internationale », Revue française de droit constitutionnel, (81), janvier 2010, pp. 41-65.