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PAC 69 – Les paradoxes du marché cinématographique en Chine Le rachat d’AMC par le groupe chinois Wanda, le 21 mai 2012

Par Justin Chiu

Passage au crible n°69

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Le 21 mai 2012, le groupe chinois Wanda rachète AMC (American Multi-Cinema), le deuxième opérateur de salles de cinéma nord-américain. Détenant déjà 730 écrans en Chine, le groupe en acquiert 5034 de plus avec cette nouvelle filiale. Il devient ainsi le numéro un mondial du cinéma.

Cette acquisition pour un montant de 2,6 milliards de dollars (2 milliards d’euros) a fait grand bruit. Pourtant, pour de nombreux observateurs, elle ne permettrait pas au groupe chinois d’en tirer profit dans l’immédiat. En effet, depuis la crise, les recettes en salles aux États-Unis continue de reculer et l’AMC affichait en 2011 une perte nette de 82 millions de dollars. Par ailleurs, l’acquisition ne change en rien le fonctionnement d’AMC. Convaincu que cette firme deviendra bientôt bénéficiaire, Wanda l’aidera à rembourser ses dettes et à moderniser ses équipements en lui apportant 500 millions de dollars. En revanche, ne disposant pas d’assez de liquidités, Wanda a pris le risque d’emprunter pour investir. La question se pose donc de savoir quels sont les objectifs du groupe chinois à long terme.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

Fondé en 1988 à Dalian au nord-est de la Chine par Wang Jianlin, le groupe Wanda s’est initialement développé dans le secteur immobilier. En 2011, son chiffre d’affaires s’élève à 105,1 milliards de yuans (13 milliards d’euros) dont 95,3 milliards de yuans (11,8 milliards d’euros) uniquement pour l’immobilier commercial. Le produit-phare du groupe – Wanda Plaza, méga-construction réunissant un centre commercial, un centre de loisirs, des hôtels de luxe et des bâtiments de bureaux – est très apprécié par les collectivités territoriales. Effectivement, des Wanda Plaza pourraient être construites sous un délai de dix-huit mois, ce qui permettrait aux responsables locaux d’atteindre l’objectif de développement urbain fixé par l’État ; d’autant plus que ces dernières années, les chantiers du groupe s’étendent jusqu’aux villes moyennes du pays. De plus, étant membre de la Conférence consultative politique du peuple de Chine, le dirigeant Wang Jianlin dispose incontestablement de facilités pour obtenir des permis de construire.

Cependant, le développement de l’économie chinoise ralentit tandis que le prix de l’immobilier baisse. Wanda annonce une prévision de croissance de 11% pour 2012, autrement dit, nettement plus faible par rapport aux trois années précédentes (40%). En 2011, la valeur des actifs globaux du groupe a atteint 203 milliards de yuans (25,2 milliards d’euros), dont uniquement 20,5 milliards de yuans (2,5 milliards d’euros) d’actifs nets. Ceci signifie que le ratio d’endettement du groupe chinois s’élève à 89,9%.

Afin de diversifier désormais ses activités, Wanda investit dans le domaine des industries culturelles depuis 2005. Rappelons qu’en Chine, ce dernier est devenu priorité nationale comme en témoignent la tenue de nombreux débats portant sur le soft power. Soutenu par l’État avec la garantie de taux d’intérêt faible, depuis 2010, Wanda signe des accords de partenariat avec quatre grandes banques nationales – la Banque de Chine, la Banque agricole de Chine, la China Exim Bank et la China Construction Bank – pour qu’elles soutiennent ses initiatives dans la filière audiovisuelle et le tourisme à l’international.

Cadrage théorique

1. La financiarisation des industries culturelles. À l’échelle mondiale, les fusions-acquisitions s’inscrivent depuis deux décennies dans une stratégie entrepreneuriale permettant d’obtenir rapidement des parts de marché, des technologies et un circuit optimal de distribution des produits. Marquée par la concentration de l’offre et la financiarisation des échanges, la mondialisation de la communication a favorisé un développement capitalistique du secteur des médias. Soutenus par la finance mondiale, les capitalistes culturels se lancent à présent dans la conquête de nouvelles parts de marché.
2. La construction d’une réputation mondiale. L’analyse de Robert Jervis nous permet d’appréhender la notion de réputation comme un processus de construction sociale. En fait, si un acteur consacre beaucoup d’effort pour soigner son image, c’est parce qu’il est convaincu que grâce à celle-ci, il pourra bénéficier d’une ressource plus importante à l’avenir. Dans cette perspective, le rachat d’AMC ne doit pas être simplement analysé comme une simple décision financière. Il s’agit aussi d’une opération symbolique grâce à laquelle Wanda peut gagner une plus grande visibilité et capitaliser une meilleure réputation sur le plan international, même s’il doit, pour ce faire, prendre des risques.

Analyse

Avec sa récente acquisition Wanda entend prendre la place de numéro un mondial, plus que d’accroître ses bénéfices sur les marchés nord-américains. D’autant que son coût extrêmement élevé a créé un effet de surprise. La capacité financière du groupe chinois a non seulement augmenté sa visibilité à l’échelle mondiale mais elle a aussi contrarié ses concurrents à l’intérieur du pays. Néanmoins, cela demeure un pari risqué car Wanda ne dispose pas de liquidités suffisantes et doit avoir recours au crédit. L’essentiel pour cette entreprise reste d’acquérir le mode de management d’AMC et de s’approprier ses expériences dans l’installation des écrans IMAX. C’est en fait au marché chinois que le groupe aura à appliquer ces précieux savoir-faire. Par un acte symbolique et de dimension internationale, Wanda vise donc paradoxalement le marché florissant du cinéma en Chine.

En 2011, le marché du cinéma a augmenté dans ce pays de 28,93%, atteignant ainsi 13,12 milliards de yuans (1,63 milliard d’euros). Pour soutenir la croissance du secteur, il faudrait par conséquent que l’offre légale de films soit suffisante et que la construction de salles de cinéma se poursuive. Le 17 février 2012, lors de sa visite officielle aux États-Unis, le vice-président chinois Xi Jingpin a signé un accord autorisant l’importation supplémentaire de quatorze films en 3D ou au format IMAX, sans pour autant relever le quota annuel de vingt films étrangers. En réaction, le 24 mars 2012, Wanda a conclu un pacte de partenariat avec la firme canadienne IMAX pour qu’elle intervienne en exclusivité dans la construction de nouvelles salles en Chine. Après le rachat d’AMC, cet événement fait suite à l’introduction en bourse –à Shanghai – de Wanda Cinema Line. Les perspectives semblent apparemment de plus en plus favorables pour le groupe chinois. Toutefois, la réalité s’avère plus complexe et l’analyse demande à être nuancée. En effet, Wanda a dû négocier laborieusement avec ses différents partenaires publics ou privés et, les négociations avec AMC, par exemple, se sont déroulées pendant deux ans. En fait, le principal atout de Wanda réside dans les bonnes relations qu’il entretient avec les autorités chinoises et dans l’alliance conclue ses divers partenaires.

Alors que le marché du cinéma prospère en Chine, l’avenir de l’industrie cinématographique demeure incertain dans ce pays. Car même s’il produit 558 long-métrages en 2011, les vingt films américains ont cumulé à eux seuls 46,39% des recettes nationales. Incontestablement, Hollywood fait figure de référence ou même de valeur sûre pour les publics chinois. Finalement, contre toute attente, plus le marché chinois s’étend, plus la domination d’Hollywood s’accentue.

Références

Bohas Alexandre, Disney. Un capitalisme mondial du rêve, Paris, L’Harmattan, 2010. Coll. Chaos International.
Braudel Fernand, La Dynamique du capitalisme, Paris, Flammarion, 2008.
Caixin – China Economics & Finance, « 万达50亿美元收购资金何来?», [D’où viennent les 50 milliards de dollars de Wanda pour les acquisitions ?], le 11 juin 2012, à l’adresse web : http://magazine.caixin.com/2012-06-08/100398578.html
China National Radio, « 2011年中国电影产量和票房收入均创历史新高 », [La production cinématographique et les recettes en salles en Chine battent les records historiques en 2011], consulté le 15 juin 2012, à l’adresse web: http://www.cnr.cn/gundong/201201/t20120111_509046175.shtml
Cerny Philip G., Rethinking World Politics, A Theory of Transnational Neopluralism, New York, Oxford University Press, 2010
Jervis Robert, The Logic of Images in International Relations, New York, Columbia University Press, 1989.
Le site officiel du groupe Wanda : http://www.wanda.cn
Thibault Harold, « Wang Jianlin fait du groupe chinois Wanda le numéro un mondial des cinémas », Le Monde, 23 mai 2012.