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PAC 55 – La mise au ban de la Corée du Nord La mort du président Kim Jong-Il

Par Thomas Lindemann

Passage au crible n°55

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La mort du président Kim Jong-Il et sa succession probable par un triumvirat conduit par son fils Kim Jong-Un soulèvent de nouveau la question des options disponibles pour apaiser et transformer le régime nord-coréen. Les premières déclarations des chancelleries occidentales suggèrent que nos dirigeants sont avant tout soucieux de montrer leur détermination à résister à tout projet d’agression nord-coréenne. Certains envisagent même d’encourager un printemps coréen en écartant un peu vite le potentiel militaire considérable de cette Sparte asiatique. Et pourtant, au-delà des questions morales, tout indique que ce régime n’est pas une puissance remettant en cause le statu quo territorial. L’histoire récente démontre que la renonciation à ces postures offensives demeure possible si l’on prend davantage en compte la dimension symbolique des aspirations d’un régime en quête de reconnaissance.

Rappel historique
Cadrage théorique
Analyse
Références

Rappel historique

La Corée du Nord s’est engagée dans une confrontation armée en 1950 contre son voisin du sud. Lors de cette guerre, le général américain Mc Arthur envisagea le recours aux armes nucléaires tactiques. L’armistice a été établi en 1953 sans traité de paix autour du 38e parallèle. Depuis cette date, plusieurs escarmouches ont eu lieu sans provoquer d’affrontement armé majeur. Plus récemment, au mois du mars 2010, la Corée du Nord a été accusée du naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan. À la suite de cette affaire, le pays a été sanctionné et mis au ban de la scène mondiale. Puis, le bombardement nord-coréen de l’île de Yeonpyeong – située à l’ouest de la péninsule et proche de la ligne de démarcation maritime (contestée le 23 novembre 2010) – a rappelé de nouveau la situation fragile entre les deux Corées. Le nouveau leader Kim Jong-Un vient de promettre que la Corée du Sud serait punie pour son comportement irrespectueux lors des funérailles de Kim Jong-Il. Quant aux ambitions nucléaires, la Corée du Nord a depuis 1993 défié le traité de non-prolifération nucléaire à de multiples reprises. L’accord cadre de 1994 et celui de Pékin datant de 2007 l’ont conduite à renoncer provisoirement à l’arme nucléaire en échange de concessions économiques et d’une certaine reconnaissance diplomatique. Toutefois, en mai 2009, elle a procédé à un deuxième essai nucléaire qui fait suite à celui de 2006. Aujourd’hui, les négociations sont dans l’impasse.

Cadrage théorique

1. Les approches traditionnelles dites de choix rationnel considèrent le plus souvent que les crises sont résolues de manière pacifique lorsque les bénéfices matériels nets de la paix sont supérieurs aux bénéfices matériels nets de la guerre. Les théoriciens réalistes mettent en avant l’importance des coûts sécuritaires dans l’équation coûts/gains. Dans cette logique, plus les menaces militaires adressées par les États-Unis à la Corée du Nord sont à la fois importantes et crédibles, plus la Corée du Nord devrait être incitée à se comporter de manière pacifique et à renoncer à ses projets nucléaires. D’autres analystes d’inspiration plus libérale, mettent, pour leur part, en avant l’utilité des sanctions économiques pour prévenir le comportement déviant d’un État.

2. Mais en fait une politique de fermeté est loin d’être suffisante et même contre-productive si elle menace la survie d’un régime ou induit des menaces publiques perçues comme humiliantes. Dans une optique plus constructiviste, il nous semble donc que les acteurs nord-coréens sont aussi soucieux de confirmer une certaine image d’eux-mêmes sur la scène politique. Ainsi, l’inclusion diplomatique – les récompenses symboliques – pourrait-elle être déterminante dans l’apaisement de ce conflit. A contrario, la stigmatisation d’un État risque d’entraîner sa radicalisation car les identités des acteurs se forment et se transforment dans les interactions.

Analyse

Toute analyse de la situation nord-coréenne soulève deux questions : les ambitions de ces dirigeants sont-elles compatibles avec le statu quo territorial et pour quelles raisons les décideurs nord-coréens s’engagent-ils dans une politique au bord de l’abîme ?

Avant tout, malgré les rhétoriques fanfaronnes des dirigeants nord-coréens, peu d’indices militent en faveur d’une politique d’expansion territoriale car la légitimité de la dynastie Kim reposant sur sa divinisation est avant tout interne. En outre, depuis 1953, l’Etat nord-coréen s’est davantage illustré par la recherche d’une certaine autarcie que par des entreprises belliqueuses. Une très hypothétique conquête de la Corée du Sud ne serait pas payante pour les leaders nord-coréens. Comment pourraient-ils en effet imposer aux Coréens du Sud qui bénéficient d’un niveau de vie comparable à celui de l’Espagne un État authentiquement totalitaire ?

Toute porte à croire que le régime nord-coréen exploite le dossier nucléaire en vue d’une meilleure reconnaissance. Se pose alors le problème de la légitimité d’un régime qui peine à subvenir aux besoins les plus élémentaires de sa population. En outre, il est connu que les autorités nord-coréennes se sont estimées profondément offensées par leur inclusion dans l’axe du mal en 2002. George Bush avait même qualifié le régime nord-coréen de « détestable pygmée » en allusion à la petite taille de Kim Jong-Il. Lorsque le leader nord-coréen lance un satellite dans l’atmosphère avec les chansons révolutionnaires le jour de l’indépendance américaine en 2009, le message semble clair : « Nous allons vous forcer à la reconnaissance par les armes ».

Face à de tels acteurs, des menaces, des sanctions et des déclarations irrespectueuses pourraient en revanche conduire à un durcissement du régime. Elles pourraient tout autant renforcer la légitimité interne du régime nord-coréen en faisant passer les opposants pour des traîtres à la solde des Américains. Elles pourraient aussi conduire à une escalade militaire. Le bilan de cette politique de fermeté apparaît négatif. Le président sud-coréen Lee Myung-bak a mis fin à la « politique de soleil » de son prédécesseur en initiant des manœuvres militaires proches de la ligne de démarcation. Or, cet isolement diplomatique n’a pas pris fin avec l’arrivée au pouvoir de l’administration Obama. Cette dernière a misé au contraire sur la « patience stratégique » et prôné une politique d’ouverture préalablement conditionnée par des preuves de la bonne volonté nord-coréenne. Pire encore, le président sud-coréen Lee a implicitement annoncé le 15 août 2010 la disparition imminente du régime nord-coréen en proposant à ses concitoyens l’introduction d’un nouvel impôt destiné à préparer l’unification des deux nations.

Dans ce contexte, il convient d’analyser le bombardement nord-coréen de l’île de Yeonpyeong de décembre 2010 comme résultant principalement de craintes existentielles plutôt que comme la manifestation d’une politique impériale.

Références

Braud, Philippe, L’Émotion en politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2006.
Lindemann, Thomas, Sauver la face, sauver la paix, sociologie constructiviste des crises internationales, Paris, L’Harmattan, 2010. Collection Chaos International.
Wendt, Alexander, Social Theory of International Politics, Cambridge University Press, 1999.